Résumé
Au niveau mondial, la production d’acier est excédentaire. La demande en acier au niveau mondial est réduite, avec la faiblesse de la croissance dans les pays de l’OCDE et une croissance en Chine, toujours élevée, mais à son niveau le plus faible depuis 30 ans, et un marché de l’immobilier en crise. La Chine continue de subventionner très fortement son industrie de l’acier.
La politique agressive et déstabilisatrice de Donald Trump sur le commerce international s’applique évidemment à l’acier et réduit les possibilités d’exportations vers les USA. Le risque est grand que l’acier chinois se reporte vers l’Union Européenne sans des mesures de protection.
En Allemagne, ThyssenKrupp envisage de supprimer 9000 postes dans la production et l’administratif d’ici 2030. En France, c’est, évidemment, le Plan de sauvegarde de l’emploi d’Arcelor-Mittal qui scandalise.
Entre 2013 et 2023, ArcelorMittal a perçu 392 millions d’euros d’aides publiques tout en versant chaque année près de 400 millions à ses actionnaires. Malgré plus d’un milliard d’euros de bénéfices en 2024, 636 suppressions de postes sont annoncées. Ce plan inacceptable illustre l’échec des pouvoirs publics. Nous appelons à une gestion publique temporaire d’ArcelorMittal, à envisager la nationalisation, relancer la décarbonation, protéger l’acier européen, garantir les sites industriels. L’État doit redevenir stratège pour défendre l’industrie, les salariés et engager une véritable bifurcation écologique et sociale.
Exposé des motifs
Entre 2013 et 2023, le groupe ArcelorMittal a perçu 392 millions d’euros d’aides publiques. Dans le même temps, il a versé en moyenne près de 400 millions d’euros de dividendes par an à ses actionnaires et a engrangé plus d’un milliard d’euros de bénéfices en 2024. Et pourtant, ce sont aujourd’hui 636 suppressions de postes qui viennent d’être annoncées et impacteront durement, si rien n’est fait, sept sites du nord et de l’est de la France, au premier desquels le site de Dunkerque.
Comment cette situation n’a-t-elle pas pu être anticipée et évitée par les pouvoirs publics ? Après l’annonce par ArcelorMittal de la suspension de son grand projet d’investissement visant à transformer les hauts-fourneaux de Dunkerque en usine de production d’acier vert, après la fermeture fin 2024 de deux sites pourtant rentables à Denain et Reims, et après l’avertissement début 2025 de son Président indiquant que “tous les sites européens d’acier sont à risque de fermeture” : l’Etat aurait dû réagir.
Ce nouveau plan de licenciement est inacceptable. Il illustre, une fois encore, les carences des pouvoirs publics perpétuant un modèle économique où les aides publiques servent à enrichir les actionnaires, sans aucune contrepartie sociale, industrielle ou environnementale, sans aucune garantie de maintien de l’emploi et de l’outil de production en France.
À Dunkerque, les salariés sont en première ligne. Leur mot d’ordre — « du métal sans Mittal » — dit bien la perte de confiance envers une entreprise qui, depuis des années, se désengage de ses responsabilités ; fermeture de sites, abandon de l’appareil productif, absence d’investissements dans la décarbonation et les infrastructures, notamment dans la maintenance, et qui aujourd’hui supprime massivement des emplois.
Depuis 2023 en France, les plans sociaux dans les entreprises s’enchaînent. En janvier 2025, la CGT a tiré la sonnette d’alarme et annoncé plus de 300 plans de licenciements en cours dans notre pays, menaçant quelque 200.000 emplois. Alors que sommes conscients des difficultés rencontrées par les industriels français et des effets domino dévastateurs pour les chaînes de valeur et les territoires, qu’attend l’Etat pour réagir ?
De nombreux secteurs sont concernés et seront concernés par des plans de transformation et de licenciement, avec la transition écologique et différents facteurs géopolitiques ou de concurrences. Trop souvent, l’absence d’anticipation, des réflexions purement comptables de court terme conduisent à des licenciements ou pire des fermetures de site qui n’ont aucune justification sur le long terme et peuvent être évités avec les investissements nécessaires. L’anticipation et des choix collectivement partagés sont indispensables plutôt que la recherche de dividendes de court-terme et des rachats d’actions.
Mardi 13 mai, le président de la République s’est opposé à une reprise par l’Etat des hauts fourneaux français, réclamée par les partis de gauche et les syndicats depuis l’annonce d’un plan de suppression de postes dans l’Hexagone, renvoyant notamment à l’Union Européenne la charge de protéger l’activité sidérurgique. Nous savons ce qu’il nous manque en réalité : un Etat stratège, car la France a les moyens d’agir.
Face aux logiques de rentabilité à court terme de multinationales guidées par la recherche de profits pour leurs actionnaires, nous appelons à une réaction immédiate des pouvoirs publics. L’État ne peut rester spectateur. Si nous manquons aujourd’hui d’outils pour protéger nos activités économiques et industrielles stratégiques, pour maintenir en France les savoir-faire, les infrastructures et les technologies critiques, cette situation n’est pas une fatalité, nous devons créer l’arsenal juridique nécessaire. L’Etat doit envisager toutes les options, y compris la reprise en main de l’outil industriel, à l’image de ce qui a été fait récemment pour la sidérurgie au Royaume uni et d’autres pays européens.
A court terme, la proposition que nous faisons est celle de créer une procédure de mise sous gestion publique exceptionnelle pour permettre à l’Etat de continuer l’activité d’une entreprise jugée d’intérêt national qui serait menacée, sans en acquérir la propriété, afin d’assurer la préservation des savoir-faire, de ses infrastructures ou technologies non substituables, pour contribuer maintenir des activités économiques et industrielles essentielles aux intérêts de la nation. La nationalisation de l’entreprise sera alors l’une des solutions pouvant être proposée à l’achèvement de l’administration temporaire, comme d’autres modèles, après validation d’un administrateur public spécial nommé pour assurer le maintien des activités de l’entreprise.
A moyen terme, la crise industrielle dans laquelle nous nous trouvons, relance avec force la nécessité de faire évoluer notre arsenal juridique, pour que l’Etat assume son rôle d’acteur au service d’une politique volontariste de reconquête industrielle protectrice des emplois et des écosystèmes.
Motion
Nous demandons :
1. La mise sous gestion publique exceptionnelle d’ArcelorMittal en France
Face à la menace grave de suppressions d’emplois et de désengagement industriel, l’État doit placer ArcelorMittal sous administration temporaire. Avec les salariés et les collectivités, il doit influencer les choix stratégiques du groupe, préserver les emplois et les technologies nécessaires à la transition écologique. Au-delà de la nécessaire participation des salarié·e·s et des pouvoirs publics à la gouvernance de l’entreprise sous administration temporaire, les écologistes défendent la codétermination dans les entreprises en renforçant drastiquement leur présence dans les conseils d’administration ou de surveillance et les associer aux choix stratégiques. Nos propositions si elles étaient adoptées feraient de notre pays l’un des plus engagés pour la démocratie dans l’entreprise alors qu’il est à la traîne aujourd’hui.
Il faut conditionner les aides publiques à des engagements concrets : emploi, investissement, transition écologique. Sans cela, nous continuerons à financer la casse sociale.
2. L’étude de toutes les hypothèses pour préserver une production essentielle comme l’acier, y compris la nationalisation
La nationalisation, accompagnée d’une nouvelle stratégie industrielle, doit être sérieusement envisagée, au même titre que d’autres options : changement d’actionnariat, reprise par les salariés… Nous soutiendrons toute proposition maintenant l’activité sur les sites de Dunkerque, Florange ou Basse-Indre.
Tout engagement financier de l’État doit désormais s’accompagner de droits nouveaux, d’une présence de la puissance publique au capital des entreprises stratégiques pour la maîtrise de notre souveraineté dans des secteurs économiques et industriels clé. Le tout assorti de contreparties écologiques et sociales aux aides publiques pour l’emploi, l’investissement, et la transition écologique.
Cette hypothèse doit être étudiée dans toutes ces facettes, afin de peser les risques financiers encourus par le rachat d’actions d’une entreprise.
3. La relance immédiate du projet de décarbonation de la filière sidérurgique
Les sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer représentent 25 % des émissions industrielles françaises. La décarbonation, soutenue à hauteur de 850 millions par l’État, est un levier essentiel pour la transition, l’innovation et l’emploi. ArcelorMittal doit désormais jouer son rôle après des années de sous-investissement.
4. L’instauration de protections commerciales et de mesures de soutien pour le marché de l’acier européen
Avec une hausse de 25 % des importations d’acier chinois en un an, l’industrie sidérurgique européenne est menacée. L’UE doit garantir notre souveraineté économique. Des protections sectoriels transitoires sont indispensables pour préserver les filières stratégiques, notamment via une mobilisation exigeante des clauses de sauvegardes. L’objectif des écologistes est la mise en place d’un réel protectionnisme vert et solidaire pour préserver des activités économiques et industrielles stratégiques, essentielles pour assurer la bifurcation vers un modèle écologique et social exigeant.
De manière urgente, nous appelons à la réforme du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières * pour une mise en œuvre la plus rapide possible et pour assurer un niveau compatible avec la transition écologique et éviter un dumping climatique. Des incitations à acheter de l’acier européen avec des clauses de préférence dans les marchés publics du BTP ou chez les constructeurs recevant des aides publiques doivent être mises en œuvre, surtout face à une concurrence chinoise non équitable. Aucun accord commercial de libre échange conduisant à accroitre les importations d’acier européen ne devra être signé. Les reculs sur les devoir de vigilances des entreprises sont également à rejeter, car ils conduisent aussi à une concurrence internationale néfaste pour les emplois en Europe, et aussi pour l’environnement et les conditions de travail dans le reste du monde. C’est vrai pour l’acier et pour Arcelor Mittal.
5. La garantie de l’emploi : aucune fermeture de site ne doit être tolérée
Le groupe est bénéficiaire. Le gouvernement doit fixer une ligne rouge claire : aucune fermeture de site industriel ne saurait être tolérée. Rien ne justifie aujourd’hui une casse sociale d’une telle ampleur, qui entraînerait une perte irréversible de savoir-faire et de capacités productives dans nos territoires.
Nous affirmons avec force qu’aucun plan de licenciements massifs n’est admissible dans une exigence de justice sociale et de responsabilité industrielle.
Au-delà de l’enjeu humain, c’est tout l’avenir industriel local qui est en jeu. Dans un contexte de sobriété foncière (ZAN) et de nécessaire relocalisation des productions pour réussir la transition écologique, fermer un site existant revient à hypothéquer la capacité de nos territoires à s’adapter aux défis climatiques et économiques.
Il est urgent d’améliorer la loi Florange pour garantir un véritable droit de regard des salarié·e, des élu·e·s locaux·ales et des pouvoirs publics sur les décisions stratégiques des entreprises, afin d’empêcher que des sites rentables soient sacrifiés au nom d’intérêts financiers de court terme.
6. La définition d’une trajectoire industrielle et de nouvelles conquêtes sociales
Il est temps de lancer un véritable Grenelle de l’industrie et une loi de programmation pour la transition écologique et démocratique du secteur. Cette trajectoire doit associer territoires, dirigeants, travailleurs et s’appuyer sur un nouveau modèle économique conciliant respect des limites planétaires et besoins sociaux, rimer avec progrès social : place renforcée des salariés dans la gouvernance, nouveaux droits pour améliorer la qualité du travail, préemption des outils de production…
Unanimité pour
* Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » fonctionnera comme une écluse à l’entrée du marché européen. Si une tonne d’acier chinois a payé l’équivalent de 2 euros sur le carbone émis pour sa production et l’entreprise européenne 80 euros, alors la tonne chinoise paiera 78 euros lorsqu’elle entre sur le marché européen. Ce mécanisme, une première mondiale, commence déjà à porter ses fruits avant même son entrée en vigueur formelle en 2026 puisque des pays ont décidé d’adopter un prix du carbone par anticipation.
Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral
des Écologistes – EÉLV des 14 et 15 juin 2025