Résumé
Cette motion est la première d’une série de motions qui seront présentées par le groupe de travail forêt inter commission dans le courant de l’année 2025. Elles ont pour ambition d’établir la politique forestière du parti. Cette première motion traite de la démocratisation de la gestion forestière et de la généralisation des paiements pour services écosystémiques (PSE).
Exposé des motifs
Les forêts françaises [1], d’une incroyable variété, sont bien plus que de simples réserves de bois ou des lieux de promenade. Elles renferment une richesse écologique incomparable, des chênaies aux pinèdes en passant par les hêtraies, chaque type de forêt ayant ses particularités, son rôle dans l’écosystème et son importance pour la biodiversité. Grâce à cette complexité, les forêts rendent à l’humanité nombre de services vitaux. Tout d’abord, elles constituent des réservoirs [2] de biodiversité abritant plus de 80 % des espèces terrestres, qui assurent elles-mêmes des fonctions cruciales telles que la pollinisation ou le cycle des nutriments, indispensables à l’agriculture. De plus, leur diversité génétique représente une source inestimable de ressources médicales, stimulant notre capacité d’innovation et d’amélioration des soins [3]. Les forêts, quand elles sont bien gérées, sont également un rempart, au niveau mondial, contre le changement climatique. Enfin, elles régulent l’eau [4], assurant une qualité hydrique qui bénéficie à des milliards de personnes.
Il est crucial de comprendre et de respecter la complexité des forêts pour préserver leur équilibre. Chaque arbre, chaque plante, chaque animal joue un rôle unique dans l’écosystème forestier [5]. Modifier cet équilibre peut entraîner des conséquences imprévues, comme le déclin de la biodiversité ou la dégradation des sols, avec un impact direct sur l’humanité. La variété est ce qui assure la résilience des forêts face aux perturbations. Une multiplicité d’espèces et de micro habitats permet aux écosystèmes de s’adapter aux changements environnementaux [6], ce qui réduit les risques d’effondrement et favorise leur régénération naturelle. Sous-estimer la complexité des forêts, c’est les condamner et, avec elles, diminuer nos chances de surmonter les crises futures ; respecter leur richesse, c’est garantir notre survie et celle de la planète.
Certains gestionnaires forestiers favorisent une monoculture industrielle, qui tend à faire perdre à la forêt française une partie de sa biodiversité [7]. Ce modèle, centré sur la rentabilité à court terme, favorise les espèces comme le pin maritime, le douglas ou l’épicéa, appréciées pour leur croissance rapide et leur valeur économique. Pourtant, cette uniformité a un coût écologique considérable. La monoculture affaiblit la résilience des forêts. Elles ne sont plus des écosystèmes équilibrés. Les arbres sont plus vulnérables aux maladies, aux ravageurs [8] et au changement climatique. Un parasite ou une sécheresse peut alors décimer des hectares entiers. Le sol souffre également. L’exploitation intensive épuise les nutriments, et l’absence d’un sous-bois riche entrave sa régénération. La petite faune, elle aussi, se raréfie. De nombreux animaux dépendent de variétés spécifiques d’arbres et de plantes pour se nourrir et se reproduire. Enfin, ces forêts uniformes perdent leur attrait esthétique et culturel.
L’uniformisation des forêts françaises repose largement sur la pression des propriétaires privés (75 % des forêts), des professionnels du bois, et la passivité de l’Etat dans les processus de décision. Cette dynamique s’illustre au sein des commissions régionales de la forêt et du bois (CRFB), où ils exercent une influence prépondérante. Bien qu’elles soient censées assurer un équilibre entre exploitation économique et durabilité écologique, elles ont souvent tendance à privilégier les intérêts industriels, au détriment de la biodiversité. Pour préserver les forêts françaises, il est donc urgent de démocratiser leur gestion. Les agences de l’eau, reconnues à l’international pour leur approche participative, peuvent constituer des modèles pour que soit mis davantage l’accent sur la résilience des écosystèmes et les besoins locaux, plutôt que sur la seule rentabilité. Continuer à éveiller l’intérêt du public pour les questions forestières demeure également une priorité.
Enfin, il n’y a pas de démocratisation de la gouvernance sans nouvelles incitations économiques. Aujourd’hui, les gestionnaires de forêts ne sont rémunérés que pour les services marchands rendus par la forêt, essentiellement la coupe de bois, le tourisme et la location pour la chasse. Ce système engendre un biais envers ces activités.
Pour favoriser une gestion forestière plus équilibrée, les paiements pour services environnementaux (PSE) constituent un levier prometteur Ce sont des compensations pour des pratiques bénéfiques, comme la préservation de la biodiversité, la séquestration du carbone, ou la protection des ressources en eau, reconnaissant ainsi la valeur des services écosystémiques des forêts. Ce dispositif, déjà mis en œuvre avec succès dans plusieurs pays, permet de réorienter les priorités de gestion sur la durabilité. Le financement des PSE devrait reposer sur la mise à contribution des activités nocives pour la biodiversité forestière ou les concurrents non écologiques au bois matériau.
Motion
Le conseil fédéral des 14 et 15 juin 2025
- demande une large mutation de la gestion forestière vers une gestion durable des forêts, au-delà de la simple inscription dans la loi, avec un véritable financement dédié ;
- demande que soient particulièrement préservées les forêts anciennes, sources d’une biodiversité unique ;
- demande à ce que soient favorisées des expériences de forêts en libre évolution, c’est-à-dire sans intervention de l’être humain ;
- demande à ce que soit lancé un grand plan de démocratisation de la gestion forestière, et notamment :
- que soient renforcés, dès la primaire, les programmes de sensibilisation à la forêt et à la biodiversité;
- que soit mis en place une gouvernance des commissions régionales de la forêt et du bois sur le modèle de celle des agences de l’eau ;
- demande à ce que soit mis en place les paiements pour services environnementaux, de manière systématique, à travers un grand plan, afin d’inciter les gestionnaires de forêts à adopter des pratiques durables ;
- demande à ce que le financement des PSE repose sur les pratiques forestières nocives et sur les concurrents non écologiques au bois matériau.
- demande que l’État donne l’exemple en formalisant ces engagements dans la feuille de route de l’ONF
Unanimité pour
[1] “Une forêt est une terre ayant un couvert arborée (ou une densité de peuplement équivalente) supérieure à 10% et une superficie supérieure à 0,5 hectare. Les arbres doivent pouvoir atteindre une hauteur minimale de cinq mètres à maturité in situ.” Définition Eurostat.
[2] IPBES. Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services. Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, 2019.
[3] FAO. Ressources génétiques forestières. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2024.
[4] Ellison, D., et al. (2017). Trees, forests and water: Cool insights for a hot world. Global Environmental Change, 43, 51-61.
[5] Par exemple : ONF. (2023). Le rôle des oiseaux dans l’écosystème forestier. Office National des Forêts.
[6] Par exemple : Barrere, J., Reineking, B., Jaunatre, M. & Kunstler, G. (2024). Forest storm resilience depends on the interplay between functional composition and climate – Insights from European-scale simulations. Functional Ecology.
[7] https://www.canopee.ong/wp-content/uploads/2023/10/canopee-enquete-afb-oct-2023.pdf
[8] FAO, 2001, Pest outbreaks in tropical forest plantation.
Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral
des Écologistes – EÉLV des 14 et 15 juin 2025