Résumé

L’irruption de l’IA générative dans l’éducation bouleverse les pratiques sans cadre clair ni évaluation. Le Conseil fédéral des Écologistes alerte sur ses risques : uniformisation des savoirs, atteintes aux droits, impact écologique massif, dépendance à des acteurs privés. Il refuse une généralisation précipitée fondée sur des promesses pédagogiques non démontrées. Il appelle à un encadrement éthique, démocratique et écologique, à la création d’une commission d’évaluation indépendante dont un moratoire sur le financement public des outils privés basés sur de l’IA générative , à la conditionnalité écologique des outils numériques, et à la mobilisation citoyenne pour une école publique, humaine et émancipatrice.

Exposé des motifs

L’émergence rapide des intelligences artificielles génératives[1], à l’instar de ChatGPT, dans le champ éducatif bouleverse profondément les pratiques pédagogiques et les équilibres institutionnels. Basée sur une expertise solide, elles doivent faire l’objet d’une régulation stricte garantissant transparence, supervision humaine, efficacité pédagogique et respect des droits.

Leur intégration dans le champ éducatif, notamment lorsqu’’ils influencent l’organisation ou le contenu des apprentissages, appelle à une régulation exigeante garantissant la transparence de leur fonctionnement, une supervision humaine effective et le respect des droits fondamentaux. Toute incitation à leur utilisation par les pouvoirs publics doit ainsi être juridiquement encadrée et faire l’objet d’un débat démocratique.

Pourtant, depuis 2023[3], ces systèmes sont utilisés dans les établissements scolaires et universitaires sans qu’un cadre clair ait été établi ni qu’une réflexion démocratique ait eu lieu. Leur intégration est même encouragée par le ministère de l’Éducation nationale, qui prévoit leur généralisation dès la classe de seconde en 2024 dans le cadre du « choc des savoirs ». Cette volonté gouvernementale s’appuie sur des promesses de gains pédagogiques non démontrés, et fait fi de toute évaluation sérieuse. Pourtant, cette démarche est prématurée et présente de nombreux risques déjà documentés.

  • Sur le plan pédagogique, les IA génératives peuvent favoriser des réponses stéréotypées, une uniformisation des raisonnements et une perte d’autonomie dans le rapport critique au savoir.
  • Sur le plan écologique, l’impact des technologies d’IA génératives est massif : leur développement et leur usage global émettent déjà chaque année des dizaines de millions de tonnes de CO2[4] et consomment des milliards de mètres cubes d’eau[5].
  • Sur le plan social, ces outils renforcent les inégalités d’accès aux ressources et favorisent une individualisation technologique au détriment du travail en équipe et de l’émancipation à l’esprit critique. Dans un contexte de restrictions budgétaires, le développement des IA génératives risque de devenir un alibi pour une nouvelle vague de privatisation ou de déshumanisation de l’enseignement.
  • Sur le plan éthique, l’absence de régulation laisse libre cours à des algorithmes conçus par des entreprises privées, l’entrainement des IA est réalisé grâce au pillage des ressources éducatives produites par les enseignant·e·s et favorise le non-respect des droits d’auteur. 
  • Sur le plan de la souveraineté numérique, les expérimentations conduisent à des dépendances économiques envers des entreprises privées dont la plupart sont en dehors de l’UE. La généralisation de l’usage d’IA génératives pour réaliser des tâches scolaires crée une dépendance à ces logiciels pour nos futur·e·s citoyen·nes et acteur·trice·s de nos entreprises et organismes publics.

L’éducation est un bien commun fondamental : elle ne doit pas être un vivier de données pour les entreprises de la tech.  Nous refusons que des gains non justifiés servent de prétexte à des coupes bien réelles de moyens matériels et humains. Comme le dit Arthur Mensch (PDG de Mistral AI), « un professeur et une IA permettront de traiter une classe de 25 personnes de la même manière que le ferait un professeur avec 12 personnes »[6] : nous savons ce que cela signifie vraiment dans un contexte de restriction budgétaire. L’IA ne doit pas être l’alibi d’une nouvelle vague de privatisation ou de déshumanisation de l’enseignement. Malheureusement, l’écosystème européen d’encadrement de l’IA est encore immature sur ces sujets même si l’AI Act[2] a été adoptée par l’UE en 2024.

Nous demandons un véritable débat collectif. Toute décision sur l’introduction de l’IA à l’école doit s’appuyer sur des évaluations indépendantes, des preuves solides, et des garanties éthiques, écologiques et sociales. L’éducation ne peut servir de laboratoire à une transition technologique non maîtrisée.

Motion

Le Conseil fédéral des Écologistes des 14 et 15 juin 2025 :

  • Affirme que l’utilisation de l’IA dans l’éducation doit se faire dans un cadre éthique, écologique, démocratique et social, garantissant le respect des droits des jeunes, des professionnels·les de l’éducation, des familles et la préservation du lien pédagogique humain fondamental.
  • Constate le manque d’un cadre réglementaire strict clair, concerté et évalué et demande un moratoire sur le financement public des outils privés basé sur de l’IA générative,
  • Préconise un encadrement strict de l’usage des IA génératives dans les établissements d’enseignement, publics et privés sous contrat, en refusant toute généralisation précipitée tant qu’aucun cadre réglementaire clair, concerté et évalué n’a été établi. Le déploiement des IA génératives doit être guidé par une boussole éthique, éducative et écologique : l’éducation ne doit pas être gouvernée par une logique de rentabilité, mais par le temps long de l’apprentissage et de l’émancipation.

Propose :

  • de créer une commission éthique, nationale et indépendante sur « l’éducation à l’heure de l’IA », incluant des représentant·e·s des personnels éducatifs et associatifs, des familles, des élèves, des élu·e·s, des expert·e·s et de citoyen·ne·s volontaires ;
  • de conditionner l’utilisation et le développement des outils numériques éducatifs financés par l’argent public,  sur des critères écologiques stricts de sobriété énergétique et de consommation des ressources, de réparabilité, et de non-dépendance à des infrastructures de cloud délocalisées ;
  • d’élaborer un cadre juridique européen contraignant, limitant l’usage des IA dans les établissements scolaires aux seuls cas d’expérimentation publique transparente, et interdisant la collecte de données personnelles ;
  • d’inviter les élu·e·s écologistes à s’opposer à toute généralisation automatique de ces technologies  en l’absence d’un bilan positif établi par la commission dont nous proposons la création. 

Nous encourageons les membres du parti à organiser, dans leurs territoires, des forums citoyens sur la place du numérique dans l’éducation, en associant les parents, les enseignants, les professionnel·le·s de l’enfance et la jeunesse, les associations, les chercheur·e·s et les collectivités, afin de construire une vision écologique de l’éducation à l’ère numérique. 

Pour poursuivre le travail de cette motion, nous demandons la constitution d’un groupe de travail « inter-commissions » transversal « IA et éducation » avec création de contenus et d’outils à destination des membres du parti : militant·e·s, parlementaires, … 

Unanimité moins 1 blanc

 Synthèse

 Le Conseil fédéral des Écologistes alerte sur les risques d’une introduction précipitée de l’IA générative dans l’éducation, sans cadre réglementaire ni évaluation. Il dénonce les dangers pédagogiques (uniformisation des savoirs, perte d’autonomie), écologiques (forte empreinte carbone et consommation d’eau), sociaux (creusement des inégalités), éthiques (pillage de contenus, dépendance à des acteurs privés étrangers) et démocratiques (absence de débat public).

Face à ces enjeux, il demande un moratoire sur le financement public des outils d’IA privés, la création d’une commission d’évaluation indépendante, la conditionnalité écologique des outils numériques et l’organisation de forums citoyens pour construire une vision éducative, écologique et humaine à l’ère du numérique. L’éducation ne doit pas devenir un terrain d’expérimentation technologique non maîtrisée.

Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral
des Écologistes – EÉLV des 14 et 15 juin 2025


Annexe

Le sujet a déjà été étudié par le Conseil supérieur de l’éducation et la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec.

Voici une synthèse détaillée du rapport « Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur : enjeux pédagogiques et éthiques », publié en 2024 par le Conseil supérieur de l’éducation et la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec.

Objectif du rapport

Ce rapport vise à analyser les implications pédagogiques, éthiques et sociales de l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) générative dans l’enseignement supérieur québécois. Il propose 20 recommandations pour encadrer son usage de manière responsable et équitable. CSE Québec

Définition et contexte

L’IA générative désigne des systèmes capables de produire du contenu inédit (textes, images, code, etc.) en réponse à des requêtes humaines. Des outils comme ChatGPT ou DALL·E en sont des exemples. Leur adoption rapide dans les milieux académiques soulève des enjeux liés à l’intégrité, à la qualité de l’information, à l’équité et à la transformation des pratiques pédagogiques.

Enjeux éthiques et pédagogiques

1. Qualité de l’information

Les productions de l’IA générative peuvent contenir des erreurs factuelles ou des biais, ce qui nécessite une vigilance accrue quant à leur utilisation comme sources d’information.

2. Équité et accessibilité

L’accès inégal aux outils d’IA générative peut accentuer les disparités entre étudiants, notamment en fonction de leurs ressources technologiques ou de leur maîtrise des outils numériques.

3. Intégrité académique

L’utilisation de l’IA générative pose des questions sur la propriété intellectuelle et l’authenticité des travaux étudiants, nécessitant une redéfinition des critères d’évaluation et des politiques d’intégrité.

4. Transformation des rôles pédagogiques

L’IA générative peut modifier le rôle des enseignants, passant de transmetteurs de connaissances à facilitateurs de l’apprentissage, et nécessite une adaptation des approches pédagogiques.

Recommandations clés

Le rapport formule 20 recommandations, dont les principales sont :CSE Québec

Soutenir la recherche : Financer des études sur les impacts de l’IA générative sur l’apprentissage et la cognition des étudiants. CSE Québec

Élaborer un cadre de gouvernance : Développer une structure collaborative impliquant tous les acteurs de l’enseignement supérieur pour encadrer l’usage de l’IA générative. CSE Québec

Former et sensibiliser : Offrir des formations aux enseignants et aux étudiants sur les usages éthiques et pédagogiques de l’IA générative.

Garantir l’équité : Mettre en place des mesures pour assurer un accès équitable aux outils d’IA générative et éviter l’exacerbation des inégalités.

Préserver l’autonomie académique : Respecter la liberté académique des établissements et des enseignants dans l’adoption et l’intégration de l’IA générative.

Conclusion

Le rapport souligne la nécessité d’une approche prudente et réfléchie dans l’intégration de l’IA générative en enseignement supérieur. Il appelle à une collaboration entre les institutions, les enseignants, les étudiants et les instances gouvernementales pour développer des pratiques pédagogiques éthiques, équitables et adaptées aux défis posés par cette technologie émergente.CSE Québec

Pour consulter le rapport complet : https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2024/04/50-0566-RP-IA-generative-enseignement-superieur-enjeux-ethiques.pdf