Résumé

Face aux crises climatiques, sociales et démocratiques, le modèle de croissance illimitée, extractiviste et financiarisé est à l’impasse : il accroît les inégalités, détruit les écosystèmes et sert des intérêts privés. Sept limites planétaires sont franchies et les 10 % les plus riches émettent près de 50 % du CO₂. Le Conseil fédéral propose un modèle économique « Écologiste » via une planification écologique et vers un horizon post-croissant : définir les besoins essentiels (éducation, santé, sport…), réduire l’empreinte matérielle, reconvertir les secteurs destructeurs, renforcer les services publics, refonder la fiscalité et encadrer la finance. Les Écologistes portent une sobriété choisie, solidaire et démocratique, articulée de l’échelon local à l’Europe. Elle est non seulement une obligation environnementale mais aussi socialement désirable pour l’émancipation collective, la convivialité et l’autonomie.

Exposé des motifs

L’idée d’un basculement du modèle économique dominant s’impose, surtout à gauche. Les crises climatiques, sociales, démocratiques et géopolitiques révèlent l’impasse d’un système fondé sur la croissance illimitée, l’extractivisme et la financiarisation: il aggrave les inégalités, mine la cohésion, néglige l’urgence écologique et attise la compétition pour des ressources captées par des intérêts privés.
Depuis les travaux des Meadows[, Georgescu-Roegen, et plus récemment avec l’Institut Veblen, Parrique, Giraud, Meda, Jany Catrice Jackson, Hickel, Steinberger, les alertes s’accumulent. En 2025, sept limites planétaires sur neuf étaient franchies ; à politiques inchangées, le réchauffement approche 3 °C d’ici 2100 alors que les 10 % les plus riches émettent quant à eux ~50 % du CO₂ mondial (Oxfam), tandis que les inégalités explosent et que des services publics se dégradent.
Satisfaire les besoins humains sans épuiser la planète exige de rompre avec le productivisme : bâtir des services publics universels et solidaires, préserver les écosystèmes tout en stabilisant l’économie sans sacrifice et réorganiser la production au service de la vie, de la justice sociale et du vivant. En France, la création du SGPE (2022) est restée largement symbolique faute de moyens, tandis que les avancées tangibles viennent plutôt du Haut Conseil pour le climat en comptabilité écologique, dans le sillage d’une tradition de planification (d’après-guerre). Mais pour être à la hauteur, cette planification doit lever trois limites : elle doit devenir post-croissance (on ne respecte pas les limites planétaires tout en maintenant les objectifs de croissance et l’accumulation du capital), rendre du pouvoir politique sur les orientations économiques dans le champ du débat et de la décision politique, et cesser d’être technocratique en soumettant objectifs et moyens à une délibération démocratique.
Une transition juste ne se limite pas à compenser les perdants de la transition énergétique. C’est un projet de transformation et de rupture avec le capitalisme fossile, qui s’appuie sur la démocratie économique, des droits collectifs nouveaux (énergie, logement, mobilité, sécurité de l’emploi), pour construire un système de partage structurellement juste des ressources, et non de simples aides temporaire
Une décroissance de la production matérielle dans certains secteurs planifiée dans une perspective post-croissante n’est ni renoncement ni récession: elle vise à réduire équitablement l’empreinte matérielle, garantir une vie digne dans un monde limité et respecter les limites planétaires. Elle implique de :

  • Fixer en concertation des standards d’une vie décente (alimentation, logement, énergie, santé, environnement sain, éducation, mobilité, information, espaces publics), et s’adapter aux bouleversements climatiques tout en préservant biotopes et biodiversité.
  • Réduire les empreintes environnementales liées à ces besoins et réparer les dégâts (reforestation, restauration des zones humides).
  • Arrêter ou reconvertir les secteurs destructeurs (énergies fossiles, publicité, aérien, armement, nucléaire) en créant les « Métiers de la Post-croissance ».
  • Maîtriser l’accumulation gloutonne de capital et l’emprise aliénante des technologies numériques.
  • Renforcer les activités utiles : santé, éducation, agriculture vivrière, culture, réparation, soins.
  • Refondre la fiscalité (environnementale, patrimoniale) pour une redistribution plus juste et transformer la finance (traçabilité des placements d’épargne, contrôle des capitaux, politique monétaire revue, gouvernance démocratique).
  • Réorienter la technologie de façon émancipatrice (Gorz, Bookchin, Federici) et instaurer une orientation démocratique de l’économie, fondée sur la délibération, le fédéralisme et la subsidiarité, avec des indicateurs alternatifs au PIB (empreinte écologique, bien-être, justice sociale).


Financer la transition exige des recettes publiques nouvelles (que l’érosion de la croissance rend plus difficiles), une régulation de la finance orientée vers l’investissement climatique et un recours assumé à l’endettement public (emprunt européen, adaptation des règles budgétaires) — les grandes transitions étant impossibles sans fonds publics. Les leviers fiscaux incluent une taxe carbone et d’autres prélèvements environnementaux ou financiers, le renforcement des impôts fonciers et successoraux, une meilleure administration fiscale et la lutte contre l’évasion via un registre mondial des actifs (type « taxe Zucman »). Une coalition d’États pourrait constituer une « Union soutenable » fixant des contributions accrues des plus riches et des pollueurs, un financement mutualisé du développement durable et un budget carbone mondial aligné sur l’objectif de zéro émission nette. Pour outiller l’action: budgets carbone contraignants, lois de programmation, conditionnalités fortes, comptabilité en empreinte, Conseil d’évaluation indépendant.
Plusieurs campagnes ont interrogé la pertinence des indicateurs comme le PIB. Saisissons ce moment pour affirmer un cap écologiste clair, crédible et désirable. Cette motion réaffirme la doctrine écologiste et propose un projet post-croissant redéfinissant un contrat social émancipateur, démocratique et respectueux des limites planétaires—articulé du local à l’Europe, construit par la délibération, et outillé par une orientation écologique mesurable et révisable.

Motion

Le Conseil fédéral des Écologistes décide de :

1) Se saisir du sujet de la Planification de l’économie dans une perspective post-croissance.
Reconnaître la nécessité d’une planification orientée vers la réduction démocratiquement coordonnée des empreintes matérielles, la préservation du vivant, le respect des limites planétaires et la justice sociale, ce qui implique de remettre en cause la logique de croissance sans fin de la production et de la consommation.
Cette planification sera multi-échelon (européen, national, local) et coconstruite avec les institutions et les citoyen·ne·s, en lien avec les pays du Sud global afin d’éviter le déplacement des pressions environnementales. Elle intègre la dimension sociale et territoriale : accompagnement des personnes déjà en « sobriété subie », développement des « métiers de la post-croissance » (réemploi, réparation, soins, agriculture vivrière, culture, etc.), et prise en compte des impacts sur les productions (dont agricoles) et l’usage des ressources aux échelles des bassins de vie comme des échanges internationaux.

2) Créer un groupe de travail transversal « Planification écologique et post-croissance ».
Associant militant·e·s, élu·e·s, chercheur·euses, commissions concernées (Économie-Social-Services publics, Post-Croissance, Énergie, Agriculture, Culture) et partenaires de la société civile (ONG, réseaux territoriaux, etc.), il aura pour missions :

  • Intégrer les principes de l’économie écologique au projet économique du parti ;
  • Définir le cadre d’une planification post-croissante en identifiant les ruptures nécessaires : périmètre des biens communs et de la sphère marchande, fin de la libre circulation totale des capitaux, contrôle de l’accumulation et de la transmission du capital, orientations financières et monétaires, sécurisation des parcours (accompagnement salarié·e·s, formations), soutien aux entreprises, territoires et ménages ;
  • Inscrire à l’école la compréhension des conséquences sociales et environnementales de la surproduction pour préparer à la sobriété solidaire ;
  • Décrire le chemin macroéconomique (macro écologie, modélisations alternatives) ;
  • Identifier les secteurs à décroître, reconvertir ou renforcer pour respecter les limites planétaires tout en garantissant une vie décente ;
  • Proposer des mécanismes de justice écologique et sociale (p. ex. quotas carbone différenciés – avec la Commission Énergie –, sécurité sociale climatique, fiscalité verte progressive) ;
  • Articuler ces travaux au cadre des Global Greens et soutenir au plan international des législations protectrices et contraignantes dans les pays producteurs.

3) Rendre ce cap lisible et désirable.

À l’issue des premiers livrables du groupe de travail, porter publiquement ce projet dans nos campagnes, en mettant en avant ses conditions sociales, démocratiques et économiques de faisabilité, et sa dimension non-coercitive et souhaitable. Se fixer comme objectif l’élaboration d’un projet « Vers une société désirable post-croissante » accessible à tous·tes

4) Déployer la formation après cadrage.

Sur la base des travaux du groupe, engager une campagne de formation interne et externe (pédagogie populaire), co-produite par les commissions concernées puis l’Académie verte, afin de nourrir un imaginaire collectif de décroissance démocratique de la production matérielle, de sobriété solidaire et de planification écologique.

Unanimité pour

Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral
des Écologistes – EÉLV des 4 et 5 octobre 2025