Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 21 et 22 novembre 2020

Exposé des motifs

Les crimes effroyables dont ont été victimes le 17 octobre 2020, Samuel Paty, à Conflans Saint-Honorine, près du collège où il enseignait, et le 29 octobre Vincent Loquès, Nadine Devillers et Simone Barreto Silva dans la basilique de Nice, appellent une réaction ferme et résolue de la société française. Notre première priorité est de combattre avec fermeté les idéologies de haine qui ont pu être entretenues au niveau local, comme au niveau international.

Le terrorisme est un défi car il se fonde sur la violence et la peur. L’État se doit d’assurer la sécurité des personnes présentes sur son territoire, tout en préservant l’état de droit et les libertés fondamentales. La première difficulté est qu’il n’existe pas de définition unique de l’usage de la violence à des fins politiques que constitue le terrorisme. En France, depuis au moins quarante ans, le débat politique est régulièrement sommé de reprendre ce mot valise de « terrorismes » (au pluriel) qui, à chaque acte violent touchant la population civile, ajoute une couche sédimentaire de confusion.

Plutôt que d’observer le recueillement et la mesure qu’appellent la gravité de la situation, plutôt que de se donner le temps et les moyens de l’enquête et de la réflexion, le gouvernement a préféré, dès les jours suivant ces tragédies, adopter un populisme sécuritaire ; se lancer à corps perdu dans une surenchère répressive, multiplier les procédures administratives arbitraires et proposer de nouvelles restrictions à la liberté d’expression.

Force est de constater que la hausse des outils répressifs que nous observons depuis des décennies (une option coûteuse par ailleurs), ne suffit pas à endiguer la violence terroriste.

Les politiques menées jusqu’ici sont, à l’égard de la criminalité terroriste, au mieux inefficaces, au pire contre-productives. En élargissant de façon démesurée et aveugle le filet pénal, en votant des lois « de réaction » au lieu de mettre en œuvre un meilleur encadrement des forces de l’ordre et donner de réels moyens d’action (investigation, travail à l’échelle européenne, etc.) pour les services publics de sécurité et de la justice, les politiques mises en place par les gouvernements successifs contribuent à la dispersion des forces répressives, à leur épuisement et à l’amoindrissement de leur capacité à identifier et, donc, à prévenir les projets criminels. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les mesures répressives et administratives mises en œuvre durant l’état d’urgence ou en application du code de la sécurité intérieure n’ont permis de constater des infractions terroristes que dans moins de 1 % des cas et à chaque fois de façon moins efficace et approfondie que ne l’aurait permise une procédure judiciaire.

En France, on a assisté à un empilement de textes dans l’arsenal juridique antiterroriste : plus de 30 lois, la dernière en date étant l’intégration de l’état d’urgence dans le droit commun en 2017. L’érosion des libertés publiques se poursuit, sans que l’efficacité de cette législation d’exception puisse être constatée. Souvent mise en avant pour justifier ces choix, la laïcité ne doit pas être instrumentalisée pour devenir un principe discriminatoire : elle est liée, dans notre droit à la liberté de conscience et au libre-exercice du culte, et de le pratiquer ou non.

En outre, le gouvernement, en mettant en place les mesures coercitives de sa politique de lutte contre les attentats terroristes, dont ceux revendiqués ou non par les réseaux islamistes fanatisés, prend le risque de renforcer le repli identitaire qu’il prétend combattre en stigmatisant, directement ou indirectement, l’ensemble des musulman·e·s.

Pourtant, concernant les processus de « radicalisation », de nombreuses études montrent qu’ils touchent surtout des jeunes de moins de 25 ans, voire des mineur·e·s, avec des mécanismes similaires à ceux de l’emprise sectaire. 

Une étude de l’IFRI de 2018 confirmait que, dans les dernières années, la majorité des actes de terrorisme ont été commis par des personnes de nationalité française, nées en France (69 % de l’échantillon analysé sur la période 2004 à 2017). L’origine géographique et sociale est plurielle. Une grande majorité d’entre elles n’ont pas d’antécédents judiciaires. Pour celles qui en ont, c’est malheureusement souvent en prison qu’elles se radicalisent. Ce sont surtout des jeunes en détresse, psychologique, sociale et en perte de repères. C’est aussi beaucoup sur internet, sur les réseaux sociaux et forums, que ces jeunes se radicalisent.

En niant les racines multiples de ce phénomène, parmi lesquelles : la disparition des services publiques de proximité, l’abandon des outils d’émancipation et de réparation du lien social, comme l’éducation populaire, la prévention spécialisée, la relégation et la discrimination à l’encontre d’une partie de plus en plus grande de nos concitoyen.nes; le gouvernement, en laissant croître la pauvreté et l’isolement social, contribue à pousser dans les bras des mouvements les plus intégristes un nombre, heureusement peu élevé, de nos concitoyen·ne·s les plus fragiles. 

Par ailleurs, les budgets alloués à la lutte contre le terrorisme, sont insuffisants. Ceux des directions générales des services (remaniés en 2008, ce qui a eu comme résultat de les affaiblir), ne sont pas assez conséquents, même si aujourd’hui des efforts sont faits. Les DGSE et DGSI manquent de personnels, les plateformes telles que Pharos sont complètement engorgées et ne peuvent traiter et trier correctement les signalements pertinents de ceux qui ne le sont pas.

De plus, l’éducation et la culture sont des piliers essentiels dans l’acquisition des valeurs communes du vivre ensemble et de construction de l’esprit critique. Largement malmenée par des politiques publiques de désengagement, la communauté éducative et culturelle a donc toute sa place dans la prévention contre le terrorisme. 

Enfin, il est nécessaire de répondre au caractère désormais transnational du terrorisme : on ne peut prôner une fermeté sur le territoire national et, en même temps, passer des accords commerciaux ou militaires avec des états soupçonnés d’entretenir des liens avec des réseaux terroristes.

La volonté des écologistes est d’apporter des réponses concrètes, pas uniquement à court terme mais également sur le long terme, à un problème réel : celui du terrorisme sous toutes ses formes. Pour cela, ils (elles) appellent à sortir des logiques de lois d’urgence qui répondent à des objectifs à court terme, plus proches de la communication gouvernementale que d’une amélioration de la sûreté des personnes sur le sol français. 

Le combat est ancien et les chantiers sont immenses. Lutter réellement et avec pragmatisme contre la violence terroriste nécessite de procéder à une révision profonde des politiques publiques en la matière. Il ne peut y avoir de solution durable, efficace et acceptable en affichant des positions démagogiques ou en reprenant la sémantique de l’extrême droite. L’horizon des écologistes est clair : la construction d’une société apaisée. Celle-ci ne pourra se faire qu’en activant des leviers à l’échelle nationale mais également régionale et internationale, à travers nos relations avec les pays tiers. 

Motion

Lutter réellement et pragmatiquement contre la violence terroriste nécessite de procéder à une révision profonde des politiques publiques en la matière.

Le Conseil fédéral réuni les 21 et 22 novembre 2020, décide que : 

● En matière de terrorisme, de nouvelles politiques pénales et de sécurité ciblant les projets criminels, en privilégiant l’investigation au long cours, doivent être mises en place. Le travail d’enquête minutieux est nécessaire pour qu’elles aboutissent, la technologie ne suffit pas sans traitement humain des données. Les techniques d’infiltration ont par exemple montré leur efficacité dans le démantèlement ou a minima le renseignement sur les réseaux terroristes, il faut les renforcer. Pour ce faire, il convient de remettre les moyens humains dans les services de renseignements pour compenser leurs remaniements successifs.

● EELV considère qu’il faut mettre en œuvre des politiques, pénale et de sécurité, permettant d’épuiser les ressources financières des réseaux criminels. Des sanctions doivent être prises et mises en œuvre contre les réseaux économiques et industriels ayant des liens financiers avec les réseaux terroristes. Il s’agit notamment de renforcer la vigilance, de souligner la responsabilité de ces professionnel·le·s et d’effectuer une meilleure prise en compte des signalements Tracfin, voire d’étendre le mandat de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), ainsi que de lutter contre les trafics d’armes, de personnes, etc. Par ailleurs, l’utilisation civile des armes automatiques et semi-automatiques doit être totalement interdite, c’est pourquoi nous demandons que les règles européennes en la matière soient durcies. Il faut aussi revoir en profondeur la politique d’exportation de l’Union européenne, en interdisant notamment les exportations d’armes vers des pays ayant des liens douteux avec des groupes terroristes. Le gouvernement français doit mettre fin aux partenariats commerciaux et industriels avec des États soupçonnés de financer le terrorisme.Enfin, il est essentiel de créer une cellule européenne de renseignement financier afin de superviser et faciliter l’échange d’informations entre États membres concernant les flux financiers suspects et d’améliorer les moyens de lutte à l’échelle de l’UE.

● EELV considère indispensable de faire le choix politique d’affecter à ces politiques pénales et de sécurité, les moyens nécessaires, en commençant par les prendre là où ils n’ont pas leur place, pour les réaffecter à la lutte contre les infractions les plus graves. Les moyens existent mais sont trop fréquemment affectés à des politiques coûteuses et aux effets marginaux, comme la surveillance généralisée dont certains articles de la proposition de loi Sécurité globale constituent le dernier exemple. Il ne s’agit pas de proposer une inflation budgétaire, mais de réévaluer les résultats des politiques à l’œuvre pour affecter au mieux les moyens. C’est une logique garante d’une société démocratique et du respect du denier public.

● Cela suppose également de renforcer la coopération plutôt que la concurrence entre services de renseignements (militaire, policier, pénitentiaire) en les plaçant sous le contrôle d’une autorité indépendante. Cette coopération doit encore être consolidée aux niveaux européen et international, par exemple par la mise en place d’un « Erasmus pour la police » afin d’encourager le développement d’une culture européenne commune et d’une plus grande confiance mutuelle. Il faut enfin renforcer l’échange d’informations pertinentes entre États membres : c’est tout le sens du « Système d’Information Schengen » (SIS) qui doit pouvoir fonctionner à la hauteur des besoins. Il est également nécessaire de consolider les moyens des agences responsables de la coopération policière et judiciaire au niveau européen, EUROPOL comme EUROJUST. Nous voulons garantir que le nouveau Parquet européen soit doté des moyens à la hauteur de ses ambitions : ses compétences doivent être élargies à la lutte contre le terrorisme dès que possible, et qu’il devienne à terme un bureau d’enquête européen à part entière.

● EELV appelle à sortir du “solutionnisme technologique” : la technologie doit être un moyen et non une fin en soi. Elle ne permet pas, par exemple, sans les moyens humains appropriés, le traitement des signalements, notamment sur Pharos. Nous plaidons en faveur d’une « surveillance ciblée », qui présuppose des motifs sérieux de suspicion et qui implique un renforcement des effectifs humains pour le traitement des données.

● EELV appelle à repenser l’organisation de la police et de la justice « anti-terroristes » afin d’améliorer leur capacité à détecter et prévenir des projets criminels notamment par la création de pôles judiciaires interrégionaux, à l’image des juridictions interrégionales spécialisées actuellement compétentes en matière de lutte contre la criminalité organisée, par le rétablissement de la police de proximité et un renforcement du renseignement territorial et donc, avec la fin du maquis administratif policier.

● EELV appelle à élaborer une politique de prévention de la fanatisation fondée sur le renforcement de la formation et l’insertion professionnelle, en lien notamment avec les associations de victimes et d’aide aux victimes, les intervenants sociaux, les éducateurs.

● Il convient également d’adopter une approche pragmatique des courtes peines de prison, loin d’un « carcéralisme magique” du “tout prison” pour permettre de ne pas mettre en contact petite délinquance et profils radicalisés en travaillant particulièrement sur la formation et les projets de réinsertion. L’incarcération comme réponse principale à la petite délinquance favorise de fait une “professionnalisation” de la délinquance, et les conditions de vie déplorables en prison en font aussi un vivier pour les idéologues de haine. Enfin, des dispositifs comme la justice restaurative (rencontre auteurs et victimes d’infractions pénales) sont utilisés depuis 2010 en Espagne dans le cadre du conflit basque, ainsi qu’en Irlande ou en Italie. Ils doivent être regardés comme des outils dans la palette de prévention de la récidive, y compris en matière de terrorisme.

● EELV rappelle le rôle fondamental de l’éducation et de la culture pour l’éveil à l’esprit critique. La possibilité donnée, dès le plus jeune âge, d’exprimer son désaccord sans aucune violence et d’entendre des idées divergentes par la pratique de débats réguliers, est un moyen indispensable de défendre le bloc des valeurs républicaines et démocratiques. Cela suppose une plus grande reconnaissance de l’expertise des enseignant·e·s comme acteur·rice·s de terrain, d’accorder une plus grande place à leur formation et une réflexion approfondie sur les outils du dialogue entre l’École, les enfants et les familles.

● L’accomplissement de la promesse républicaine permet de lutter contre les replis identitaires. EELV appelle à une politique de lutte contre tous ces replis, fondée non sur un prétendu « choc des civilisations », sur l’opposition des religions et des croyances, mais sur la recherche de l’égalité républicaine, en commençant par s’attaquer à toutes les discriminations quelles qu’elles soient.Pour ce faire, les vigies indépendantes des libertés, telles que la défenseure des droits ou l’Observatoire de la laïcité, doivent être confortées dans leur rôle de lanceuses d’alerte. 

Pour : 105 ; blancs : 6 ; nppv : 2



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