Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 11 et 12 juillet 2020
Exposé des motifs
I. Surpêche : la mise en danger d’un bien commun
Un diagnostic inquiétant
Le poisson est aujourd’hui l’un des aliments les plus consommés au monde. Alors qu’en 1960, un individu consommait 9,9 kg de poisson en moyenne, il en consomme aujourd’hui plus de 20,5 kg par an soit le double. Pour satisfaire cette demande grandissante, les pêcheurs, doivent prélever davantage de poissons quitte à épuiser les populations de certaines espèces. L’augmentation de la pression de pêche associée à des pratiques non durables ont provoqué l’effondrement de plusieurs populations de poissons : la FAO estime que 66,9% des stocks de poissons1 sont déjà exploités à leur niveau durable maximal (rapport SOFIA 2018) alors même que la mer constitue la principale source de protéines pour presque un tiers de l’humanité.
Des conséquences écologiques dévastatrices
La surpêche a des conséquences désastreuses sur les écosystèmes marins et l’équilibre de la chaîne alimentaire. Non seulement victimes collatérales des techniques de pêche, les prédateurs se retrouvent également privés de leurs proies. Résultat, les populations des grands prédateurs marins (dauphins, orques, requins) se seraient réduites de 90% en 50 ans.
La surpêche ajoute aussi une pression tropique supplémentaire sur une biodiversité marine déjà fragilisée par les pollutions (pesticides, engrais, plastique et micro-plastique) et le réchauffement climatique avec des impacts déjà visibles sur les milieux et sur les chaînes alimentaires avec à court-terme des conséquences irréversibles les écosystèmes marins.
Le mépris de la condition animale
Largement industrialisée, la pêche s’effectue généralement sans prendre en compte de la souffrance des poissons quand ils sont capturés. Ceux-ci sont pêchés et tués de manière incompatible avec les concepts de traitement et d’abattage destinés à limiter la souffrance. Nombre d’entre-eux sont susceptibles de mourir écrasés dans des filets, par suffocation au contact de l’air, réfrigérés ou dépecés encore vivants.
Alors l’idée que les animaux d’élevage doivent être abattus dans des conditions qui limitent leur souffrance semble largement acceptée, cette question n’est quasiment pas traitée quand il s’agit des poissons. Pourtant 91% des Français considèrent que le « bien-être » des poissons devrait être au moins autant protégé que celui des autres animaux d’élevage (sondage COMRES pour Eurogroup for Animals & CIWF, 2018).
II. Un modèle de pêche à bout de souffle
Surcapacité de pêche, surcapitalisation d’un secteur
Surcapacité et surcapitalisation caractérisent le secteur de la pêche industrielle, très dépendant des subventions publiques. En France et en Europe notamment, c’est la logique du toujours plus grand et toujours plus puissant qui a conduit depuis les années 1970 les politiques publiques de soutien à la modernisation et à la construction des flottes. En Europe, sur la période 2000-2006, la flotte de la pêche industrielle a notamment concentré plus de 53 % du budget total d’aides publiques contre 11 % pour la petite flotte qui représente pourtant 65 % du total des emplois.
Réfléchie à très court terme, rythmée par les Conseils des Ministres où l’on privilégie les intérêts nationaux, la Politique Commune de la Pêche (la PCP) reste encore trop souvent prisonnière d’une vision de la pêche comme une simple activité de production. Son bilan économique, social et écologique est négatif : baisse des revenus individuels des pêcheurs baisse du nombres d’emplois dans un secteur qui s’industrialise toujours plus (59 000 marins pêcheurs en France en 1950, 18 000 aujourd’hui), crises chroniques, mise sous perfusion du secteur pour qu’il soit rentable, effondrement de la ressource de poisson dans certaines zones géographiques avec pour conséquence une dépendance accrue aux importations et accords commerciaux qui organisent un véritable pillage des ressources en poisson des pays du Sud.
Pourtant, partout la même stratégie d’industrialisation semble se généraliser au détriment de la petite pêche côtière. Avec pour résultat le décrochage entre la capacité des pêcheries et la réalité de la ressource halieutique
Vers toujours plus d’exploitation des populations de poissons
Les industriels de la pêche sont incités à aller toujours plus loin dans la sophistication des techniques pour maintenir leur niveau de captures. Cela conduit au développement de techniques de moins en moins vertueuses qui intensifient la surexploitation des ressources halieutiques et la destruction des habitats.
Les prises accessoires : le scandale des rejets en mer
Consubstantiels de la pêche industrielle et malgré une nette amélioration, les rejets en mer représentent encore 9 % du total des prises soit environ 7 millions de tonnes d’animaux par an dans le monde. Certaines proportions de rejets dépassent les 10 kilos de prises accessoires pour 1 kg de capture ciblée. Ces prises accessoires bouleversent les écosystèmes marins, à l’image de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne, qui provoque chaque année la mort de plusieurs milliers de dauphins.
Le fléau de la pêche illégale et la faillite du système de contrôle
Concernant environ un poisson sur cinq poissons pêchés, la pêche illicite non-déclarée et non-réglementée (INN) participe à la situation de surpêche généralisée. Elle est pratiquée principalement en haute mer et dans les zones côtières des pays où les réglementations et contrôles sont plus faibles. Sans restriction de captures, les ressources sont exploitées à leur maximum avec le recours régulier à des engins de pêche ou des techniques interdites.
L’aquaculture : une fausse solution qui renforce la surpêche
Secteur qui s’est développée à grande vitesse, l’aquaculture représente désormais près de la moitié des produits de la mer consommés. Si l’idée de « remplacer » le poisson sauvage par du poisson d’élevage est largement diffusée par les industriels du secteur, l’aquaculture revient en réalité à pêcher du poisson sauvage pour nourrir les poissons élevés dans les fermes aquacoles. Elle représente donc une pression de pêche supplémentaire non négligeable sur la ressource de poissons sauvage avec un ratio moyen de 2,5 kg de poissons pêchés pour fournir 1 kg de poisson d’élevage.
De plus, l’aquaculture des conséquences environnementales dramatiques : pollution de l’eau, maladies liées à l’extrême concentration dans les élevages qui se propage, risque que les poissons d’élevage s’échappent et perturbe l’écosystème avoisinant sans compter qu’elle encourage la déforestation avec un recours accru au soja dans les farines qui alimentent les poissons d’élevage.
Les conditions d’élevage désastreuses de ces poissons et génératrices de souffrance (promiscuité, amoncellement de déjections etc.) ajoutées au développement accéléré de parasites et de maladies cause la mort prématurée d’environ 20% des spécimens dans les fermes aquacoles.
Enfin, les conditions de travail dans ces exploitations industrielles laissent encore largement à désirer dans certains pays tels que le Chili, deuxième producteur mondial de saumon.
Motion
Une approche plus durable et plus éthique de la pêche
Malgré l’augmentation du nombre de populations de poissons surexploitées ou épuisées, la gestion mondiale reste encore dominée par les intérêts du secteur de la pêche industrielle, qui ont pris le dessus sur les considérations scientifiques. Aujourd’hui cette surexploitation des mers compromet à court terme l’avenir-même de l’activité économique de nombreux pêcheurs et « si l’activité n’est pas très rapidement réformée en profondeur, les conséquences sont terrifiantes : les océans pourraient être tout simplement vides de poisson à horizon 2048 » rappelle Stéphane Beaucher dans son ouvrage Plus un poisson d’ici 30 ans. Les États et l’Union européenne doivent prendre en charge la responsabilité de réguler le secteur de la pêche pour l’accompagner vers un modèle de pêche plus soutenable qui préserve la biodiversité, les écosystèmes, respecte les conditions de vie et besoins des animaux et qui contribue à la sécurité alimentaire.
Pour ce faire Eelv propose de développer et promouvoir une pêche plus durable qui se caractérise par :
→ La réduction de consommation de poisson. Elle doit être encouragée notamment par la multiplication des repas végétariens et végétaliens dans la restauration collective.
→ La préservation des populations de poisson. Une pêche durable doit tout d’abord se pratiquer sur une population de poisson en bon état et en capacité de se renouveler. Elle induit, pour de nombreuses espèces aujourd’hui victimes de surpêche, la réduction la capacité de pêche pour atteindre un niveau permettant la reconstitution de la population de poisson.
→ Une meilleure prise en compte de la souffrance animale. Un travail d’audit exhaustif des conditions de captures, transport et mise à mort des poissons pour mettre en œuvre des normes pour réduire leur souffrance doit être effectué. Les matériels de pêches doivent être grandement améliorés pour limiter la souffrance et les blessures sur les poissons et autres animaux marins capturés. Enfin, des protocoles doivent être mis en place lors des captures accidentelles. La lente agonie d’animaux mutilés rejetés à la mer n’est plus tolérable. Enfin, la formation initiale et continue des marins pêcheurs et des aquaculteurs notamment, via les lycées maritimes, doit prendre en compte les résultats des connaissances scientifiques pour sensibiliser les futurs professionnels du secteur à la réduction de la souffrance animale.
→ L’interdiction des méthodes de mise à mort les plus barbares. L’interdiction du « finning » c’est-à-dire la découpe des ailerons à bord des navires sur des animaux vivants – qui provoque chaque année le massacre de dizaines de millions de requins – doit être généralisée à l’ensemble de la haute mer en interdisant tout débarquement d’ailerons séparés du corps. De la même façon, en lien avec sa législation, l’Union européenne doit exiger l’arrêt du Grindadrap – une chasse aux cétacés particulièrement violente – dans les Îles Féroé.
→ La limitation des impacts sur les autres espèces lors des captures. Ce qui implique d’aller vers des pêches plus sélectives qui limitent fortement les prises accessoires. Les politiques « zéro rejets » développées en Norvège qui travaillent sur les choix des zones de pêches et techniques employées pour capturer uniquement les spécimens qui seront débarqués et vendus doivent nous inspirer.
→ L’interdiction des pratiques les plus destructrices de l’environnement et des écosystèmes, comme les engins de pêche en contact avec le fond marin. Il est nécessaire de réduire l’usage des filets dérivants ou l’usage à grande échelle des dispositifs de concentration de poisson (DCP) à la seule pêche traditionnelle de subsistance.
→ Une lutte efficace contre la pêche illicite non-déclarée et non-réglementée. En assurant la mise en œuvre des accords internationaux en matière de lutte contre la pêche illégale et en améliorant les outils de traçabilité des systèmes d’approvisionnement pour limiter le risque d’importations de produits issus de la pêche illégale.
→ L’amélioration du système de contrôle et de sanction. Face à la généralisation de la fraude dans le secteur, il est essentiel de revoir les mécanismes de contrôle et de sanction. La mise en place d’un permis à point pêcheurs permettrait, en cas de récidives, de retirer au pêcheur son autorisation de pêche.
→ La réhabilitation de la petite pêche : la pêche durable est aussi une pêche juste. Soutenir la petite pêche côtière répondant au cahier des charges de la pêche durable par un partage plus équitable des quotas et des droits de pêche aujourd’hui trop favorable à la pêche industrielle très concentrée, et par le soutien au développement de systèmes en circuits courts. Une attention particulière devra être portée sur les territoires ultramarins qui subissent à la fois le pillage des océans par les navires industriels étrangers au détriment de la petite pêche locale et un manque de soutien public pour l’accompagnement des pêcheurs vers des techniques de pêche plus durable (fin des filets dérivants…).
→ Une gestion plus durable de l’aquaculture. La diminution au maximum de l’incidence de l’aquaculture sur l’environnement, la limitation des traitements antibiotiques, l’exigence de réversibilité et de compensation des effets environnementaux de la conversion des espaces naturels en fermes d’élevage et la limitation de la taille des exploitations (interdiction des fermes usines) sont des pistes d’amélioration. Les règles sur le bien-être qui concernent l’élevage de mammifères (concentration, mode de mise à mort) doivent être étendues et adaptées aux poissons dans les fermes aquacoles. Rappelons que 94% des français estiment que les poissons doivent disposer d’un espace approprié pour nager et pour exprimer leurs comportements naturels en aquaculture. Pour limiter son incidence sur la surpêche le recours à l’aquaculture doit rester le plus limité possible et privilégier les espèces de bas niveau trophique comme les poissons herbivores.
→ Une meilleure sensibilisation des distributeurs, des collectivités et des consommateurs à des choix responsables. En multipliant les campagnes de sensibilisation sur la pêche durable, en encourageant à l’achat de produits locaux issus d’espèces non menacées et labellisés pêche durable (à condition que les certifications type MSC – Marine Stewardship Council – soient améliorées).
→ Les Unités d’Exploitation et de Gestion Concertées (UEGC) au cœur de la nouvelle Politique Commune de la Pêche (PCP) Développées à l’initiative de la WWF depuis le début des années 2000, les UEGC associent, autour d’un territoire cohérent, tous les acteurs de la filière pêche, qui élaborent, par la concertation, une gestion de proximité, dans le cadre général de la PCP. Elles sont chargées de mettre en œuvre et de faire respecter un plan de pêche qui régule les prélèvements en fonction de la ressource disponible. Elles s’articulent en plusieurs actions :
- 1) Ré ancrer la pêche dans des territoires. Il s’agit de définir des territoires pertinents sur le plan écosystémique (aire de répartition d’une espèce, écosystème spécifique…) redécoupés ensuite selon les pratiques de pêche exercées.
- Remettre à plat les structures de gouvernance. Une gouvernance, fondée sur la concertation, qui intègre l’ensemble des acteurs concernés. Ces comités de gestion ont pour but de définir une feuille de route sur les courts, moyens et long terme avec des objectifs, de définir et mettre en places des indicateurs de suivi et d’organiser une gestion évolutive en fonction des résultats constatés.
- Gérer par l’effort de pêche. Cela consiste à dépasser la gestion par la seule prise en compte de la quantité pêchée mais d’y intégrer les modalités de capture et de l’intensité de l’activité (effectifs de la flotte, puissance et taille des navires, temps passé en mer.). Placer l’effort de pêche au cœur de la nouvelle gestion, c’est l’opportunité de travailler à diversifier les modes de pêches pour éviter toute concentration du secteur mais c’est surtout œuvrer à préserver la biodiversité et les écosystèmes en adaptant cet effort (jachères, fermetures totales ou saisonnières de zones de pêche, taille des navires, limitation du nombre de navires, temps de capture etc.).
- Mettre en place des contrôles pertinent. Les règles sont décidées collectivement et doivent être respectées par tous pour ne pas anéantir les efforts de gestion pérenne.
Largement accepté par les pêcheurs et ayant fait ses preuves, le modèle des UEGC mérite d’être généralisé et soutenu financièrement dans le cadre d’une PCP refondée vers la pêche durable.
→ La Création d’un réseau de réserves marines pour au moins 30% des océans
Au-delà des mesures techniques et politiques de gestion des pêcheries, il est urgent de protéger, préserver et régénérer les écosystèmes marins. C’est la fonction des réserves marines qui sont des zones sur lesquelles toute activité humaine préjudiciable à l’écosystème marin est proscrite ou très limitée. Aucune activité d’extraction et d’exploration, de pêche industrielle ou d’élimination des déchets n’y est autorisée. Dans ces sanctuaires à l’abri de la pression de la pêche, les populations se reproduisent et en quelques années l’écosystème local ne parvenant plus à nourrir toute cette biomasse, cette dernière migre vers l’extérieur et recolonise les zones périphériques : c’est l’effet dit de « débordement ».
Le maillage de ces réserves doit répondre à des préoccupations écosystémiques prenant en compte à la fois les espèces et les milieux (zones de reproduction des poissons, habitats vulnérables, zones abritant des espèces uniques et/ou surexploitées). Seront différenciées les réserves en haute mer en nombre restreint mais de grande superficie unitaire, et les réserves côtières de dimension plus modeste mais beaucoup plus nombreuses dans lesquelles les activités de la petite pêche seraient maintenues du moment qu’elles répondront au cahier des charges de la pêche durable.
Aujourd’hui, seul 1% de la haute mer (eaux internationales) est protégée alors même qu’elle représente 70 % de l’espace vital disponible sur notre planète mais surtout il n’existe pas d’instrument légal qui permette d’y créer des réserves marines. Pour pouvoir protéger au moins 30% de nos océans d’ici à 2030 et dépasser l’inefficacité et la fragmentation de la gouvernance de la haute mer, il est primordial que les Nations se dotent d’un traité international de protection des océans juridiquement contraignant visant à protéger la vie et les habitats marins situés au-delà des juridictions nationales.
Il est enfin impératif que la France et l’Union européenne renforce leur réseau Aire marines protégées et y mettent en place de véritables plans de gestion avec des moyens humains et financiers pour les mettre en œuvre. Rappelons que si 12% des eaux européennes sont couvertes par des AMP, environ 2% le sont pas des AMP dotées de plans de gestion.
Unanimité moins 2 blancs
1. Le terme “stocks” de poissons nous semble réducteur pour des animaux, nous préférons parler de “populations” de poissons.
Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 11 et 12 juillet 2020