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Résumé
En 30 ans, le trafic aérien a été multiplié par quatre. Cette croissance annihile tous les effets d’amélioration de l’efficacité énergétique au point où les émissions de CO2 de l’aérien sont celles qui ont le plus augmenté en Europe après celles des SUV.
La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie cite d’ailleurs en premier lieu la maîtrise de la demande, parmi les principaux leviers de décarbonation identifiés.
Un véritable plan de baisse des émissions du secteur aérien en valeur absolue doit viser une réduction du trafic. Croire à une solution exclusivement technique est irresponsable, il est donc indispensable de modérer nos usages.
Exposé des motifs
Pour réduire son impact climatique, le milieu aéronautique mise aujourd’hui essentiellement sur des solutions technologiques (efficacité des avions et des moteurs) et les SAF (Sustainable Aviation Fuels) comme les agro-carburants ou les carburants de synthèse, l’énergie électrique et l’hydrogène. Cependant, il y a aujourd’hui un consensus dans la communauté scientifique et technique pour dire que ces solutions seront insuffisantes et très souvent trop tardives pour permettre une quelconque baisse des émissions du secteur.
Aussi, ce texte vise à présenter notre stratégie de plafonnement du trafic aérien, levier indispensable pour réduire son impact environnemental. Les leviers technologiques et opérationnels ne sont pas l’objet de cette motion. Ceux-ci sont souvent bénéfiques mais doivent être traités avec une vigilance extrême et rigoureuse sur leurs impacts. Par exemple, l’utilisation des SAFs peut être bénéfique dans une certaine mesure, toutefois leur surutilisation engendrerait des conflits d’usages : pressions sur les écosystèmes en prélèvement de biomasse ou encore besoins irréalistes en électricité.
Les enjeux se déclinent en plusieurs thématiques :
Climat :
L’avion est le mode de transport dont les émissions de CO2 augmentent le plus rapidement.
L’aviation mondiale émet déjà 3 fois plus de CO2 qu’un pays comme la France.
Les objectifs de “Fit for 55” en 2030 et de neutralité carbone en 2050 sont ambitieux et nécessaires, toutefois le climat futur dépend du cumul des émissions.
Pollution de l’air
Aux émissions de CO2 s’ajoutent les émissions de polluants (NOX et particules fines) émises à basse altitude autour des aéroports, qui contribuent à la pollution locale.
Pollution sonore
Les rapports récents, notamment de 2021 de l’ADEME, montrent que les effets sur la santé du bruit lié à l’aviation dépassent les 13,6 Mds€ par an et représentent 9% des coûts sociaux liés au bruit (52% pour le routier et 7% pour le ferroviaire).
Plus de 4M de Français·e·s sont directement exposé·e·s au tapage sonore excessif dû à la croissance incontrôlée du trafic. Les critères d’évaluation du bruit spécifiques à l’aviation sont en contradiction flagrante avec ceux du code de la santé ou du seuil pour enquête publique du code de l’aviation.
Énergie : Les scénarios actuels de croissance du trafic avec les objectifs en SAF (ReFuelEU) promettent des conflits d’usages : les SAF biosourcés feraient peser une pression insoutenable sur les écosystèmes ; quant aux électro-carburants, ils vont accroître la tension sur la demande d’électricité.
Économie et social
L’aviation est exonérée de taxe sur le kérosène (plus de 6.5 Mds€ de pertes annuelles pour la communauté), exonérée de TVA sur les billets internationaux (et seulement 10% pour le domestique comme les autres modes de transport (ferroviaire ou routier), exonérée en partie de taxe foncière, et bénéficie en outre de subventions des collectivités et de l’État. Ceci constitue des privilèges fiscaux et réglementaires exorbitants.
Par ailleurs, l’aviation a vu, en Europe, l’apparition puis la progression considérable des low-costs, qui tirent la croissance du trafic, pour satisfaire un modèle de société consumériste et capitaliste entraînant la surchauffe de la planète et l’exploitation des travailleurs.
Aujourd’hui, près de ⅔ du carnet de commande d’Airbus correspond à un accroissement de la flotte mondiale et seulement ⅓ au renouvellement de la flotte vieillissante. Cet accroissement sert essentiellement à accompagner le développement des compagnies à bas coût ou basés dans des pays moins disants socialement et écologiquement.
Seuls 20% des aéroports français seraient économiquement viables sans ces aides massives (jusqu’à 100€ par passager). Certaines études alertent sur les biais systématiques dans les études d’impact .
Pour conclure, lorsque 1% de la population mondiale est responsable de plus de 50% des émissions de l’aviation commerciale, et que 20% des Français les plus aisés sont responsables de 50% des vols, on comprend qu’on est face à une injustice criante entre le pollueur et ceux qui en subissent les conséquences.
Ceux qui défendent le modèle actuel prétendent que la liberté serait attaquée. Nous disons que la liberté n’est pas de pouvoir choisir entre un nombre maximum de destinations possibles et aussi souvent que possible mais de pouvoir le faire pour les choses qui importent. L’idée n’est donc pas de clouer tous les avions au sol mais bien d’arbitrer de manière démocratique comment intégrer l’aviation dans un monde habitable.
Les changements dans le secteur aérien doivent s’aligner sur une transformation sociétale globale impliquant de nouveaux modes de vie, de travail, de production et de consommation, indispensables pour permettre la survie de l’humanité face au dérèglement climatique.
Il s’agit de garantir :
– l’avenir de l’humanité en réduisant les émissions de CO2.
– le droit à un environnement sain pour les millions de personnes subissant les pollutions et nuisances des aéroports et aérodromes.
Enfin, il s’agit de réfléchir à nos imaginaires, de s’interroger sur le degré de légitimité de certains trajets, de s’orienter vers des pratiques qui respectent les habitant·e·s et l’environnement : moins loin peut-être, moins fréquemment sûrement, mais plus responsable.
Les leviers réglementaires identifiés ci-après sont autant d’outils pour réduire le trafic aérien dans une approche juste et ambitieuse.
Il existe une forte convergence de l’ensemble des associations militantes pour réduire la pollution aérienne : Stay Grounded, Aero-Decarbo, Greenpeace, le Réseau Action Climat (RAC), Alternatiba, Agir pour l’Environnement, WWF, les Amis de la Terre, France Nature Environnement, sans compter les dizaines d’associations locales regroupées au sein de l’UFCNA. Il existe également un ensemble d’études scientifiques poussées sur les sujets de la pollution aérienne (émissions, air, bruit) pour nourrir notre position.
Motion
Le Conseil Fédéral du 15 octobre 2023 se prononce pour :
1. Plafonner le trafic dès que possible. Interdire toute extension d’aéroport. Instaurer des couvre-feux nocturnes pour le bien-être des riverain·e·s et des travailleurs/euses.
Ce plafonnement pourrait être pertinent en nombre de mouvements et en km. passager.
2. Étudier le principe d’une fiscalité agile qui permette de réduire le trafic, tout en évitant de creuser les injustices sociales.
La mise en place d’une taxation additionnelle: taxation du kérosène au même niveau que l’essence, TVA à taux plein sur tous les billets d’avions ; conditionnalité de toute subvention publique à l’industrie aérienne à sa réduction des émissions carbone ; limiter à la portion congrue les subventions aux aéroports.
Ces mesures rapporteraient en France plus de 10 Mds€ par an qui seraient utilisés pour la reconversion des personnes, l’investissement dans les transports à moindre impact carbone ainsi que l’accès aux services publics et la continuité territoriale pour les habitant-e-s des outre-mer, des territoires ultramarins, et les Français·e·s résident·e·s hors de France.
3. Interdire les vols européens lorsqu’une alternative en train de moins de 6 heures existe (calculée centre-ville à centre-ville), y compris pour les correspondances.
Cette reprise plus ambitieuse des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ne présente en France aucun problème en termes de faisabilité. Elle doit s’accompagner d’un blocage des créneaux aéroportuaires et de la promotion d’une tarification sociale sur les alternatives ferroviaires.
Il s’agit également de prendre en compte les questions d’aménagement du territoire et d’anticiper les conséquences de cette mesure pour les plateformes de tailles intermédiaires, avec un débat porté par les élus régionaux et locaux écologistes au niveau local.
Le rapport de la Cour des comptes “Le maillage aéroportuaire français” souligne le besoin d’optimisation.
Les collectivités locales devront prendre cette question à bras le corps et anticiper la nouvelle carte aéroportuaire issue des conséquences de cette mesure.
4. Interdire la publicité pour le transport aérien et les dispositifs d’incitation au voyage tels que le système des miles. Taxer de façon croissante et dissuasive les voyageurs fréquents.
Les exigences de sobriété justifient la mise en place d’une écocontribution individuelle fonction du nombre de kilomètres parcourus en avion comme proposé par la CCC.
5. Interdire les Jets privés et les avions supersoniques
Si l’on veut permettre aux jeunes et aux générations à venir de pouvoir eux aussi voyager, il est indispensable de modérer nos usages et d’empêcher les abus. Le transport aérien pourra continuer à fonctionner dans la limite des budgets d’émissions de la planète et des pays.
La perspective de voir bientôt voler des avions supersoniques n’est pas de la fiction malgré le fait qu’un tel avion émette au moins 3 fois plus de CO2 qu’un vol en classe affaire subsonique (et 6 fois plus qu’en classe économique).
6. Aligner les critères de mesure de la pollution sonore sur les critères du code de la santé.
Cette mesure aura pour objectif de contraindre l’aviation à proposer des Plans de Prévention du Bruit dans l’Environnement en accord avec la loi [7] [8]
7. Défendre auprès de l’OACI et de la commission européenne notre position en faveur de la réduction du trafic aérien.
La France doit se réapproprier la responsabilité de réduire ses émissions internationales et ne pas déléguer cette responsabilité à l’OACI.
Pour cela, il faut prendre en compte l’ensemble des émissions de l’aviation (vols domestiques et internationaux) dans la Stratégie Nationale Bas Carbone, sans tenir compte de crédits carbones gratuits ou de mécanismes de compensation.
La France doit promouvoir cette démarche auprès des autres pays.
8. Planifier la reconversion des travailleurs/euses de l’aérien.
9. Lutter contre le dumping social et environnemental des modèles low cost.
L’ensemble des mesures pour la baisse du trafic pourront s’appuyer sur :
– une progressivité des mesures (horizon 2030) ;
– l’accompagnement vers la transition des métiers grâce au bénéfice des taxes ;
– la prise en compte des facilités et difficultés d’accès aux alternatives existantes ou à venir dans les territoires.
– le développement du transport ferroviaire, autre secteur industriel fort de la France, et notamment du train de nuit ;
– le développement d’un tourisme local européen qui bénéficiera plus naturellement à des acteurs locaux ;
Pour : beaucoup ; contre : 1
Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 14 et 15 octobre 2023