Résumé

Les sols agricoles perdent de la matière organique (carbone).
L’azote (N) et le phosphore (P) sont des fertilisants indispensables à l’agriculture.
La production d’engrais azotés est très consommatrice d’énergies fossiles.
Les engrais phosphatés sont issus de mines non renouvelables, exploitées à l’étranger. Le phosphore est classé matériau critique par l’Union Européenne.
Les excrétats humains (urines, fèces) sont riches en nutriments (N,P,K).
Lorsque ces éléments se retrouvent dans l’eau, plutôt que sur des sols agricoles, ils “fertilisent” l’eau et provoquent eutrophisation, algues vertes.
Le traitement de ces éléments polluants et dilués dans les eaux est coûteux et peu efficace.

L’Assainissement Écologique cherche à boucler les cycles en reconnectant Assainissement et Fertilisation des sols.

Exposé des motifs

La production de l’azote agricole est fortement dépendante du pétrole et est source de gaz à effet de serre. (Annexe I).

Le Phosphore est une ressource limitée dont les mines sont géolocalisées dans très peu de pays. (Annexe II).

Le Métabolisme humain nécessite Azote et Phosphore, mais ne les stocke pas et les rejette. (Annexe III).

L’assainissement constitué des tout-à-l’égout et des stations d’épuration est une vision linéaire dépassée. (Annexe IV).

Les enjeux posés par la pollution de l’eau et l’appauvrissement des sols agricoles augmentent jour après jour.

L’approche de l’économie circulaire reste principalement orientée autour de la gestion des déchets solides. Les ressources présentes dans les eaux usées (eau, chaleur, énergie chimique du carbone et nutriments) sont trop peu valorisées. (Annexe V).

L’Assainissement écologique (aussi appelé EcoSan pour Ecological Sanitation) développe des alternatives durables aux méthodes limitées d’assainissement, tant collectives (tout-à-l’égout, stations d’épuration) qu’individuelles (fosses septiques, épandage).

Il s’agit de réduire la consommation et la pollution de l’eau et de réutiliser en agriculture les nutriments (azote, phosphore, potassium) et la matière organique présents dans les excrétats humains (urine et fèces).

L’objectif est d’éviter au maximum de passer par le cycle de l’eau et de transformer les urines et matières fécales en ressources pour fertiliser les sols agricoles, en fermant les cycles naturels des éléments chimiques, de manière hygiénique, économique et écologique.

L’OMS s’est positionnée de manière favorable à la valorisation des excrétats humains en agriculture.

L’Assainissement écologique repose donc sur les principes suivants :

  • – réduire les pollutions en amont
  • – réduire les consommations en eau et en énergie
  • – réduire les risques sanitaires et impacts environnementaux
  • – séparer à la source les différents flux : eaux ménagères (eaux grises, sans les eaux des toilettes) d’un côté et excrétats (urine, fèces) de l’autre, grâce à l’utilisation de toilettes sèches et/ou à séparation des urines
  • – être accessible culturellement, socialement, techniquement et économiquement
  • – responsabiliser les personnes utilisatrices

Il existe de nombreux modèles de toilettes sèches ou à séparation d’urine (Annexe VI) en fonction des localisations (habitat collectif ou individuel, rural ou urbain), des pays, des cultures (toilettes position accroupie, sièges, eaux de nettoyage, usage de papier), des techniques de traitement (compostage, dessiccation), des pratiques et valorisations agricoles locales…

Les matières fécales peuvent être compostées, lombricompostées, méthanisées, desséchées, hygiénisées.

L’urine peut être collectée, stockée, traitée et réutilisée sous forme liquide ou solide (précipitation des composés). Elle contient la majorité des nutriments et, contrairement aux fèces, présentent un risque lié aux pathogènes faible.

Un développement s’amorce en France et des initiatives se multiplient

Des initiatives sont développées partout sur la planète (Suède, Allemagne, Chine, Japon, Inde, Suisse…). La France est en retard, mais différents acteurs commencent à intégrer ces principes à leurs projets.

Exemples :

À Lyon, le projet KOLOS vise à développer les filières circulaires entre assainissement et fertilisation des sols en valorisant les urines et excréments humains en agriculture.

À Paris 14è, 600 logements d’un écoquartier vont être dotés de toilettes capables de récupérer l’urine.

A Bordeaux, un réseau urbain de toilettes sèches a été mis en place.

En Bretagne, des petits immeubles sont équipés de toilettes sèches avec tapis roulant.

Des AMAP développent des points d’apport volontaire des urines de leurs adhérent·e·s.

Plusieurs villes mettent en place des filières de compostage de couches biodégradables utilisées dans les crèches et les EHPAD.

La stratup Toopi Organics vient de lever 16 M€, avec l’ADEME, pour accélérer son déploiement de production d’un biostimulant agricole à base d’urine humaine.

L’École des Ponts ParisTech a lancé en 2014 le programme de recherche-action OCAPI (Organisation des cycles Carbone, Azote et Phosphore dans les territoires) pour étudier les verrous et leviers de transition socio-écologique des systèmes alimentation/excrétion urbains. Un scénario prévoit pour 2050 l’autosuffisance de l’agglomération parisienne en engrais recyclés destinés à l’agriculture.

Le Réseau d’Assainissement Écologique (RAE) (50 structures) travaille depuis 15 ans pour la promotion de techniques écologiques : traitement différencié eaux grises/excrétats ; toilettes sèches familiales, collectives et publiques ; phytoépuration ; pédo-épuration…

L’Agence de l’Eau Seine-Normandie subventionne jusqu’à 80 % les projets de séparation à la source et de valorisation des urines et des fèces.

En Suisse, l’Aurin, fertilisant à base d’urine, a été homologué pour être commercialisé.

L’Allemagne bénéficie de fonds européens pour un projet d’usine de fabrication d’engrais à partir d’excrétats humains.

Motion

Le Conseil fédéral des Écologistes / EÉLV, réuni les 4 et 5 octobre 2024, décide de :

1- Soutenir le développement de l’assainissement écologique et les expérimentations à différentes échelles de territoires et de collectivités.

2- Réfléchir à une politique écologiste globale en matière d’assainissement, s’intéressant à la gestion différenciée des eaux domestiques et des excrétats humains, et comprenant l’émergence de filières circulaires de la matière organique et des nutriments agricoles (azote et du phosphore), en lien avec les politiques de santé publique, d’agriculture et d’eau.

3- Participer à la réflexion concernant le statut législatif et réglementaire des urines et des fèces humaines. Elles ne sont actuellement pas caractérisées et sont implicitement inclues dans « les eaux usées ». Une loi pourrait également déclarer d’intérêt général la valorisation des nutriments des excrétats humains (N, P, K), dans la même logique que celle relative à l’obligation de tri à la source des déchets solides. Cette réflexion doit être menée en concertation avec les organisations agricoles et paysannes concernant l’utilisation des excrétats humains, en particulier en agriculture biologique. Aujourd’hui, sont autorisés en bio (cahiers des charges) l’utilisation des effluents d’élevage non industriels non bio, que ces élevages aient ou pas des traitements médicamenteux.

4- Encourager les soutiens financiers des différentes assemblées et promouvoir la mise en place des projets pilotes, notamment :

  • – les lycées agricoles, compétence des conseils régionaux, où les urines peuvent être valorisées directement sur des parcelles agricoles ;
  • – les établissements recevant du public (salles de spectacle, stades, aéroports…) propices à une collecte importante de l’urine ;
  • – les toilettes publiques, gérées par les services municipaux ;
  • – les grands évènements, les festivals… pionniers dans l’utilisation des toilettes sèches
  • – les zones urbaines proches de rivières dont l’état chimique et microbiologique est critique. La logique de dilution des effluents est limitée par la hausse de la population associée à la baisse des débits liée aux dérèglements climatiques ;
  • – les zones rurales, où des filières locales de valorisation des nutriments des excrétats humains existent souvent (épandage des boues de stations d’épuration ; plateformes de compostage);
  • – la construction de nouveaux quartiers qui pourrait risquer d’engendrer l’extension des stations d’épuration existantes ;
  • – la mise en place de filières de compostage pour des couches biodégradables utilisées dans les crèches et les EHPAD.

5- Favoriser les programmes de recherche sur la fermeture des cycles des nutriments.

6- Sensibiliser et inciter les acteurs du bâtiment (construction, rénovation).

7- Favoriser ce principe dans les programmes WATSAN Eau/Assainissement de la coopération internationale.

8- Promouvoir cette logique dans le déploiement des PAT Plans Alimentaires Territoriaux.

9- Préparer une fiche sur cette thématique pour les élections municipales

Unanimité moins 9 blancs


Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral des Écologistes -EÉLV
des 5 et 6 octobre 2024

Annexes

I. L’Azote agricole, une production pétro-dépendante, source de gaz à effet de serre (GES)

Les engrais azotés synthétisés industriellement, utilisés pour la production de la nourriture, sont produits en usine à partir de l’azote atmosphérique (N2) contenu dans l’air. Cette synthèse chimique utilise le méthane comme réactif et comme source d’énergie (procédé Haber-Bosch) pour produire l’ammoniac NH3. Ce procédé est très énergivore, consommateur d’énergies fossiles (gaz naturel ou produits pétroliers) et fortement émissif en gaz à effet de serre (2 à 3 % de l’empreinte carbone de la France). Ce procédé a commencé à être utilisé avec l’arrivée de l’utilisation massive de la pétrochimique au début du XXe siècle.

Les engrais azotés synthétiques, tels que l’urée et les ammonitrates, sont l’un des piliers de l’agriculture industrielle et sont devenus essentiels à l’alimentation de milliards de personnes. Les installations industrielles mettant en œuvre ce procédé ont un impact écologique important.

Les engrais azotés synthétiques sont consommés à très grande échelle mais la moitié de l’azote ainsi apporté n’est pas assimilé par les plantes. Ils se retrouvent dans les cours d’eau ainsi que dans l’atmosphère terrestre sous la forme de composés chimiques instables : les émissions d’ammoniac NH3 des épandages d’engrais réagissent avec les émissions d’oxyde d’azote NO2 du trafic routier pour participer à la pollution aux particules fines de nitrate d’ammonium NH4NO3.

Fin octobre 2021, les prix des produits pétroliers et du gaz naturel (méthane), ont subi une hausse très importante. Le gaz naturel représente près de 80% du coût de production de l’ammoniac, ce qui se répercute sur les prix des engrais azotés, puis des denrées alimentaires en bout de chaîne. Face à l’explosion de leurs coûts de production, les usines des fabricants d’engrais ont tourné au ralenti, voire ont été arrêtées. Le groupe norvégien Yara, l’un des géants du secteur, a réduit de 40% sa production d’ammoniac. Moins de production, c’est moins d’engrais sur le marché, et des prix qui s’envolent. La tonne d’ammonitrate, l’un des fertilisants les plus utilisés en France, a coûté plus de 750 euros, contre 300 euros environ au printemps précédent. Le prix de la tonne d’urée a grimpé à 805 euros et a quasiment quadruplé en un an.

Une grande partie de la fabrication d’engrais azotés a quitté depuis longtemps la France, dont la production nationale ne couvre aujourd’hui qu’un tiers des besoins de son agriculture. Les engrais azotés, massivement importés de Russie, des Etats-Unis ou de Chine, se tarissent, en raison des difficultés logistiques et des restrictions des exportations. La France a peu de stocks pour faire face et les dépôts d’engrais, en raison de leur potentielle dangerosité, sont très réglementés (l’explosion qui a dévasté Beyrouth en 2020 était due à un stock d’ammonitrates).

II. Le Phosphore, ressource limitée dont les mines sont géolocalisées dans seulement quelques pays

Le Phosphore utilisé en agriculture provient très majoritairement de mines fossiles, principalement situées à l’étranger. Les trois principaux producteurs de phosphate (dérivé du phosphore) sont la Chine, les Etats-Unis et le Maroc. Au Maroc, les mines de phosphate sont situées au Sahara Occidental et sont la source du conflit qui oppose depuis plus d’un demi-siècle l’armée marocaine au Front Polisario qui revendique l’indépendance du Sahara Occidental.

Contrairement aux énergies fossiles qui peuvent être remplacées par des énergies renouvelables, le phosphore n’est pas substituable. La gestion des réserves et de cette ressource est donc cruciale.

Cette ressource stratégique est classée depuis 2014 comme matériau critique de l’approvisionnement de l’Union Européenne. La France est très dépendante des importations en phosphore pour son approvisionnement.

Le long de la chaîne de production et de distribution des produits alimentaires, le rejet de grandes quantités d’azote et de phosphore participe à l’eutrophisation des milieux aquatiques, à rendre l’eau impropre à de nombreux usages (dont sa consommation) et à polluer l’atmosphère (azote ammoniacal, protoxyde d’azote,).

III. Le Métabolisme humain nécessite Azote et Phosphore, mais ne les stocke pas et les rejette

Pour les plantes, l’Azote et le Phosphore sont des éléments essentiels à la photosynthèse, processus sans lequel les plantes ne pourraient pas se développer grâce à l’énergie solaire. C’est ce processus qui permet aux plantes de respirer et de dupliquer leur patrimoine génétique (production de protéines) afin d’assurer leur croissance. Ils constituent ainsi des éléments nutritifs essentiels pour le développement des végétaux, sans lesquels les plantes deviennent chétives et s’affaiblissent.

Exceptées quelques plantes (soja, luzerne, légumineuses…) qui ont la capacité de capter directement l’azote atmosphérique, l’ensemble des autres plantes assimilent l’azote et le phosphore par les racines au niveau du sol.

Les productions agricoles dédiées à l’alimentation humaine permettent aux différents nutriments (Azote, Phosphore…) d’être ingérés et assimilés, à travers la nourriture, par le corps humain.

Pour le corps humain, l’Azote est indispensable à la fabrication des protéines de structure de l’organisme. On le trouve dans tous les acides aminés qui composent les protéines, les acides nucléiques (ADN et ARN), et l’adénosine triphosphate (ATP) molécule essentielle de transfert d’énergie. Les protéines ont un rôle biologique très important dans la croissance et le développement de tous les organes, mais aussi dans la production des anticorps, des protéines de transport, des enzymes, et des hormones.

Le Phosphore est de son côté nécessaire à la formation des os et des dents. Il est également utilisé comme constituant structurel de plusieurs substances importantes, dont celles qui sont employées par les cellules pour la production d’énergie, les membranes cellulaires et la synthèse de l’ADN.

L’Azote et le Phosphore sont indispensables au fonctionnement de l’organisme humain, mais sont presque intégralement excrétés par le corps humain. Les formes des nutriments diffèrent entre l’ingestion et l’excrétion : l’azote est par exemple ingéré sous forme de protéines et excrété sous forme d’urée.

Ainsi, un Français ingère en moyenne 5 kg d’azote et 500 g de phosphore par an : on les retrouve majoritairement dans les urines (à hauteur de 4 kg d’azote et 300 g de phosphore) et de façon secondaire dans les matières fécales (1 kg d’azote et 200 g de phosphore).

Les nutriments excrétés par le corps humain sont principalement concentrés dans les urines, avec 80% à 90% de l’azote et 60% du phosphore pour seulement 1% du volume total des eaux usées.

Chaque personne produit par jour un peu plus d’un litre d’urine. Une fois que les urines sont diluées dans les centaines de litres d’eau des égouts, il n’est plus possible de récupérer la majorité des nutriments et une partie va polluer les rivières. Si on sépare les excretats, et notamment les urines, à la source, il devient possible de recycler presque tous ces nutriments, éventuellement les concentrer, et de retourner ces engrais naturels aux parcelles agricoles.

L’alimentation et l’excrétion humaines constituent ainsi un grand potentiel d’économie circulaire puisque les nutriments mobilisés par le corps sont presque intégralement excrétés par la suite.

IV. Le Tout-à-l’égout, une vision linéaire qui n’est plus d’actualité

La généralisation du tout-à-l’égout, concomitante au développement exponentiel de l’urbanisation au XXe siècle, a massivement orienté la gestion des excrétats humains vers des systèmes linéaires, générateurs de fortes externalités négatives du point de vue environnemental. La fonction de l’eau n’est alors que de servir de véhicule d’évacuation vers l’extérieur des villes. Oui, on fabrique de l’eau potable pour « chier » dedans…

Le système d’assainissement, fondé sur le triptyque « toilettes à chasse d’eau – tout-à-l’égout – stations d’épuration », produit, chaque jour par habitant, environ 30 à 40 litres de chasses d’eau composées d’urines et de matières fécales (moins d’un litre) qui contaminent et sont diluées dans une moyenne de 150 litres d’eaux usées domestiques (consommation moyenne par jour et par habitant en France).

Les chasses d’eau consomment entre 20% et 30% de notre consommation d’eau.

L’exigence de protection des milieux aquatiques a entraîné la construction de stations d’épuration pour extraire ou détruire certains composants des eaux usées avant leur retour au milieu naturel : matière organique, azote, phosphore, germes et bactéries, etc. Les solutions mises en œuvre sont coûteuses en équipements, en réactifs chimiques et en énergie, et leur efficacité est au final partielle pour protéger les milieux aquatiques. Les stations d’épuration traitent successivement le carbone, puis l’azote, puis le phosphore. Des stations sous-dimensionnées (augmentation de la population, variations saisonnières liées au tourisme…) peuvent traiter le carbone, mais beaucoup moins l’azote et le phosphore. La valorisation des nutriments présents dans les eaux usées est peu efficace et complexe.

Les limites des systèmes conventionnels de traitement des eaux usées sont multiples :

la production d’eau potable coûte cher et sert en partie dans les toilettes pour y faire simplement nos besoins dedans (oui, nous produisons de l’eau potable pour faire nos besoins dedans…).

les résidus médicamenteux et hormonaux n’ont pas le temps de séjour nécessaire dans les stations d’épuration (en moyenne 3 jours) pour être dégradés correctement par les bactéries des boues activées avant leur rejets dans le milieu naturel.

des résidus de molécules pharmaceutiques et hormonales se retrouvent dans les cours d’eau et perturbent les cycles de reproduction des poissons et organismes aquatiques (population de poissons à 75% femelles liée au résidus hormonaux).

les masses d’eau contaminées par l’azote et le phosphore provoquent des problèmes d’eutrophisation.

des problèmes de dimensionnement des installations de traitement en zones touristiques avec des variations de population très importantes

des épisodes d’intempéries et d’inondations qui provoquent des arrivées d’eaux usées directement dans les milieux naturels sans aucun traitement…

Le changement climatique et la baisse consécutive du débit des fleuves et rivières, combinés aux projections d’augmentation de la population, provoquent un effet ciseau : davantage d’effluents à traiter et moins d’eau pour les diluer dans les milieux naturels. La dégradation de l’état écologique des cours d’eau risque alors d’être inévitable à moyen terme, sauf à amplifier les traitements dont les coûts seraient disproportionnés et avec d’autres effets secondaires environnementaux.

Les systèmes d’assainissement actuels rendent par ailleurs complexes la récupération et la valorisation des composants (nutriments, matière organique, eau…) des différents flux. Aujourd’hui, seulement une faible portion de l’azote (moins de 5%) et du phosphore des excretats humains font l’objet d’une valorisation agricole, à travers les boues d’épuration épandues ou compostées, avec des réticences en hausse. Ce taux est nul pour les villes qui incinèrent leurs boues.

Cet état de fait est le fruit d’un long processus historique de dévalorisation de nos déjections et d’un découplage des villes et campagnes au détriment de la circularité. Ce ne fut pas toujours le cas : au début du XXe siècle, les taux de recyclage agricole de l’azote et du phosphore des excréta humains de l’agglomération parisienne étaient par exemple respectivement de 50 % et 70 %.

Actuellement, ces nutriments sont en grande partie rejetés dans les milieux aquatiques : cela ne permet pas leur recyclage pour la production agricole et dégrade les milieux aquatiques par l’eutrophisation.

Pour les grandes agglomérations situées en zone considérée comme sensible à l’eutrophisation :

l’azote, naturellement présent dans les urines sous une forme minérale assimilable par les plantes, subit l’opposé d’une valorisation : il est dissocié en azote gazeux par des procédés lourds et consommateurs d’énergie et de réactifs. Le taux de recyclage de l’azote des excrétas humains, par l’épandage des boues, est d’environ 5 % en moyenne en France ;

le phosphore est souvent précipité par adjonction de réactifs métalliques. Sa valorisation agricole n’est que partiellement effective (30 % de recyclage en moyenne française) et elle est pénalisée par la composition des boues présentant de nombreux autres éléments parfois incompatibles avec cette valorisation (métaux, organohalogénés, etc.).

V. Vers une Économie circulaire des excréments humains

L’approche de l’économie circulaire reste presque exclusivement orientée autour de la gestion des déchets solides. Cette vision communément admise fait l’impasse sur une autre dimension, moins visible mais tout aussi fondamentale, des déchets produits par notre société : les déchets évacués par les eaux usées et en particulier les excréments humains.

Quatre ressources principales peuvent être considérées dans les eaux usées : l’eau, la chaleur, l’énergie chimique du carbone et les nutriments (azote, phosphore…). Alors que les trois premières ressources font l’objet d’une attention particulière depuis quelques années (réutilisation des eaux usées traitées, récupération de chaleur, méthanisation, etc.), le potentiel des nutriments est encore peu exploré.

On consomme une quantité importante d’énergie à produire d’un côté des engrais azotés industriels que de l’autre à détruire l’azote de nos excréments, dilués dans les eaux usées arrivant aux stations d’épuration. Beaucoup de gaz à effet de serre en amont pour la production, puis en aval pour la destruction.

Les plantes pourraient au contraire très facilement utiliser l’urée et le phosphore présents notamment dans les urines pour synthétiser leurs protéines, ce qui permettrait ainsi d’avancer vers une économie circulaire des nutriments.

Une opportunité apparaît ainsi pour investir un angle mort des politiques publiques et ouvrir un champ nouveau à la croisée des chemins entre stratégie agricole et transition écologique. Se saisir de cette nouvelle problématique environnementale pour engager la transition écologique de l’assainissement, c’est également contribuer activement à la question politique du rapport entre urbain et rural.

VI. Exemples de modèles

Sièges de toilettes à séparation d’urine

Dalle de toilettes à séparation d’urine, avec ou sans évacuation des eaux de lavage à l’arrière

Urinoirs féminins

Sources

  • L’urine humaine pour une transformation écologique et sociale | Fabien Esculier | TEDxEcoleDesPonts
  • Fabien Esculier, lauréat du prix de thèse 2019, pour sa thèse intitulée  » le système alimentation/excrétion des territoires urbains : régimes et transitions socio-écologiques « 

Lauréat du prix du public pour « Ma thèse en 180 secondes »

https://www.youtube.com/watch?v=FjzK-dgE4Os // https://www.youtube.com/watch?v=hZNwSBSrTcA

https://www.ecoledesponts.fr/fabien·e·sculier-medaille-argent-academie-agriculture-de-france

  • Laboratoire LEESU (Laboratoire Eau Environnement Services Urbains) – Programme OCAPI (Organisation des cycles Carbone, Azote et Phosphore dans les territoires)

https://www.leesu.fr/ocapi/ // https://www.leesu.fr/programme-OCAPI

  • La séparation à la source de l’urine – SIAAP, Agence de l’Eau Seine Normandie, CNRS, Eau de Paris.

https://www.leesu.fr/ocapi/wp-content/uploads/2018/08/Fiche_4_pages_Separation_urine_NUMERIQUE.pdf

  • À Dol-de-Bretagne, les habitants de cette résidence ne font plus «plouf» quand ils vont aux toilettes :

https://www.leparisien.fr/environnement/video-loooberge-la-premiere-residence-de-france-equipee-de-toilettes-seches-et-sans-odeurs-05-11-2022-A3FL53WJ4VDOZLCB6LDIXXB7MA.php

  • À Bordeaux, ils lancent le premier réseau urbain de toilettes sèches

https://www.wedemain.fr/decouvrir/a-bordeaux-ils-lancent-le-premier-reseau-urbain-de-toilettes-seches_a4569-html