Exposé des motifs
La présente motion a pour objet le contrat d’engagement républicain et la nouvelle possibilité de dissolution d’associations, résultat de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
122 années après la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, force est de constater que cette liberté d’association, principe à valeur constitutionnelle et acquis de longue lutte, est remise en question par des initiatives parlementaires et gouvernementales tantôt frontales, tantôt insidieuses.
Définie comme une loi de liberté, elle est promulguée dans un contexte d’évolutions législatives qui redonnent progressivement le droit, confisqué plus d’un siècle plus tôt, de se réunir et se regrouper et en fin de compte instaure un droit de s’associer sans autorisation préalable permettant ainsi l’action collective. Le Conseil Constitutionnel élève la liberté d’association au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Plusieurs prises de paroles publiques nous alertent sur la limitation de la liberté d’association. Le 5 avril, Gérald Darmanin, auditionné par le Sénat sur sa doctrine du maintien de l’ordre à Sainte-Soline, déclarait que les subventions de l’Etat à la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) “méritent d’être regardées dans le cadre des actions qui ont pu être menées”, créant une ambiguïté qu’on aurait pu attendre d’être corrigée par la Première ministre Elisabeth Borne. Elle a, au contraire, renchéri, indiquant qu’elle ne “comprenait plus certaines des positions” de la LDH. Cette stigmatisation sans précédent de la Ligue des Droits de l’Homme n’est qu’un exemple de l’inquiétant climat de défiance et d’intimidation à l’encontre des associations. La LDH étant une organisation hautement symbolique de par son histoire et son engagement constant pour les droits humains, les droits des femmes, les droits des exilé·e·s, et les libertés fondamentales, cette attaque a résonné comme une alerte générale pour le monde politique et associatif.
Elle n’est pas isolée car elle s’inscrit dans un mouvement d’intimidation auprès des défenses des plus précaires, comme à Calais, de remise en cause de l’existence d’associations écologistes allant jusqu’à leur dissolution, comme les Soulèvements de la Terre, ou encore d’assèchement financier d’acteurs de la culture, comme en Auvergne-Rhône-Alpes.
Le 14 avril 2023, la Défenseure des Droits rappelait dans un communiqué que “la Cour européenne des droits de l’homme estime que la stigmatisation d’associations par les autorités publiques, combinée à la menace de mesures de contrôles et de sanctions, peut porter atteinte à la liberté d’association.”
Ces attaques envers les Soulèvements de la Terre et la LDH viennent illustrer l’état de défiance créé par l’Etat à l’égard des associations, coincées entre le marteau et l’enclume, entre contrat d’engagement républicain (CER) et risque de dissolution, respectivement créé et modifié, par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, aussi dite loi “séparatisme”. Cette loi instaure pour les associations l’obligation de signer un CER pour obtenir des subventions ou encore déposer des demandes d’agréments et permet désormais de dissoudre les associations non seulement « Qui provoquent à des manifestations armées » mais aussi « à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Cette loi facilite les dissolutions administratives d’associations, les banalise et fait courir le risque d’assèchement financier par perte de subventions. Ce CER étant opposable, les pouvoirs publics sont libres d’interpréter et contrôler les activités des associations qui dérogeraient aux engagements du CER, en refusant d’octroyer des subventions ou demander un remboursement. Les engagements et leurs critères de respect étant peu définis, ils sont laissés à l’appréciation de l’État ou dépositaires de collectivités territoriales avec un grand risque d’arbitraire dans le pouvoir de sanction.
Par exemple, le préfet de la Vienne a demandé à la ville de Poitiers d’exiger de l’association Alternatiba Poitiers un remboursement de sa subvention pour l’organisation d’un festival au seul motif qu’un atelier d’information sur la désobéissance civile était programmé et pourrait constituer une atteinte ou une suspicion d’atteinte à l’ordre public. Sachant que le Préfet de la Vienne Jean-Marie Girier a occupé le poste de chef de cabinet de Gérald Darmanin, cet épisode est loin d’être anodin et démontre un phénomène de “politisation de la fonction publique”[1]. Le dispositif du CER, non seulement crée des insécurités financières et juridiques sans précédent pour les associations, mais en plus est de nature à entraver leur liberté d’action par manque de moyens ou par risque d’auto-censure.
L’instauration d’un CER constitue également une remise en cause de la gestion territoriale par les collectivités. En effet, il donne aux préfets la possibilité de demander de retirer des subventions à des associations pourtant votées par délibération des élu·e·s. Cette disposition ouvre la porte à des interprétations idéologiques et à une forme de surveillance de l’action des élu·e·s, particulièrement dangereuse dans un contexte politique de montée de l’extrême droite.
Le CER contribue à un esprit de surveillance par l’Etat des subventions octroyées par les élu·e·s de collectivités aux associations, et pourrait mener à des dérives graves dans le contexte actuel de montée de l’autoritarisme et face au risque d’un gouvernement illibéral plausible un jour. Des exemples de lois anti-associations existent en Europe notamment en Hongrie et en Russie.
Le flou juridique des engagements stipulés dans les CER peut également mener à des instrumentalisations de la part d’élu·e·s locaux ou régionaux qui ne seraient pas satisfaits des positions ou actions d’associations, bafouant ainsi un principe d’indépendance des associations. Par exemple, en Auvergne Rhône-Alpes, le président de région Laurent Wauquiez a fait voter un CER modifié ajoutant une obligation de “neutralité” pour les associations. A Saint-Raphaël, une délibération en conseil municipal ajoutait au CER l’obligation pour les associations de participer à des événements patriotiques.
Dans ce contexte, les écologistes doivent répondre présent·e·s aux côtés des associations. L’écologie politique, en tant que mouvement politique qui a toujours été ouvert sur la société civile de par son histoire comme de ses méthodes et de son fonctionnement, a le devoir de répondre en allié·e·s des structures associatives face à ces attaques contre leurs libertés. La liberté d’association ne saurait être dissociée de la liberté d’expression, de réunion, de manifestation. Les associations sont l’expression même de la citoyenneté essentielle à la démocratie, notamment car elles peuvent constituer un contre-pouvoir à l’exercice politique en restant en dehors du jeu des majorités changeantes, qu’elles sont forces de propositions là où les institutions ne le peuvent pas toujours, et qu’elles sont un lieu privilégié d’expression de la société civile.
Alors qu’auparavant les associations ne devaient tout simplement pas commettre d’infraction, elles doivent désormais s’engager à ne pas déroger à des principes flous et même agir proactivement pour qu’aucun·e de leurs membres ne les transgresse, créant la possibilité de formuler de manière insidieuse des doutes et des actions contre certaines d’entre elles. Le CER crée une culture de la défiance contraire à la loi du 1er juillet 1901 qui est avant tout une loi de liberté et qui repose sur la confiance. Aux côtés du Collectif des Associations Citoyennes et du Mouvement Associatif qui ont dénoncé les risques et maintenant les dérives de la loi, nous voyons dans les attaques portées aux associations une dérive autoritaire qui abîme notre démocratie et nos principes républicains.
En ce 122ème anniversaire de la loi 1901, nous dénonçons la loi dite “séparatisme”, qui est en réalité une loi anti-association. La liberté d’association et les libertés fondamentales qui en découlent sont au cœur de la démocratie. En tant qu’écologistes, nous mettrons tout en œuvre pour les protéger et les développer.
Motion
En ce 122e anniversaire de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, le Conseil Fédéral :
- réaffirme l’engagement sans faille d’EÉLV aux côtés du monde associatif et son attachement à la liberté d’association et aux droits et libertés fondamentaux qui en découlent ;
- demande l’abrogation du contrat d’engagement républicain et des dispositions de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, portant atteinte à la liberté d’association ;
- demande au gouvernement d’adopter enfin une position constitutionnelle en agissant concrètement pour protéger, promouvoir et garantir les droits et libertés fondamentaux au titre desquels figure la liberté d’association, plutôt qu’en remettant en cause régulièrement cette liberté fondamentale ;
- demande aux élu·e·s EÉLV de se positionner en allié·e·s des associations dans leurs territoires et de participer à des dynamiques d’alliances permettant la documentation des dérives du CER et à les combattre.
Unanimité pour
[1] La résistance du système juridique français à un potentiel «choc autoritaire», L. Pech, S. Platon
Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 1er et 2 juillet 2023