Exposé des motifs
En septembre 2021 déjà, 12 millions de Français·e·s ne pouvaient pas se chauffer comme elles et ils le souhaitaient. Un an après, à l’approche de l’hiver, l’Europe traverse une crise qui met en lumière les lacunes systémiques de nos sociétés en matière d’approvisionnement énergétique. Cette crise remet en question notre modèle complet de consommation et valide le projet que les écologistes portent depuis des années.
Nous souhaitons en premier lieu réaffirmer notre soutien à l’Ukraine, et réitérer notre appel à éteindre les importations de gaz russe. L’enjeu central de cette crise devrait être de questionner nos usages et nos besoins en ressources. Mais comment ne pas voir que l’arbre de la communication présidentielle cache la forêt des renoncements de l’exécutif ? Près de deux ans après avoir décrié et raillé le “modèle Amish”, le gouvernement parle bien volontiers de sobriété. Dans une situation énergétique d’une immense fragilité, il ne semble pourtant être guidé que par l’idéologie de la consommation, puisqu’en guise de politique de “sobriété”, il propose une politique de culpabilité et d’austérité qui fera de chaque individu, l’unique responsable de sa situation et pèsera avant tout sur les plus fragiles.
La réalité, c’est qu’il ne peut y avoir de justice sans réduction de la consommation et de l’usage de l’énergie ; ce que souhaitent les écologistes, c’est que chacune et chacun ait accès à une énergie abordable, aujourd’hui et à l’avenir, ici et partout ; et à une énergie qui ne nuise ni aux écosystèmes ni à la santé. C’est le droit à l’énergie dont nous appelons aujourd’hui à la reconnaissance. L’autre versant de notre approche, c’est que nous ne pouvons plus opposer court et long terme. La crise de 1973 doit à cet égard nous rester en mémoire : sitôt le “choc pétrolier” passé et les mesures de court-terme levées, la consommation d’énergie et en particulier d’énergies fossiles était repartie et avait battu des records. Les mesures à prendre d’urgence pour passer l’hiver sont en réalité les mêmes que celles qui doivent nous permettre de préserver une planète vivable, et de faire durablement baisser les prix de l’énergie. Réduire et partager, voilà la philosophie des écologistes.
Aujourd’hui, faire preuve de responsabilité, c’est arrêter la pédagogie de la dissonance qui laisse croire aux Françaises et aux Français que modérer ou décaler les consommations énergétiques des ménages, des collectivités et des entreprises serait l’alpha et l’Omega des politiques publiques. Qu’arrêter son sèche-linge, ou mettre un col roulé suffirait à être à la hauteur des enjeux. Qu’interdire les panneaux publicitaires lumineux serait un gadget. Les changements individuels participent évidemment de l’effort collectif, mais celui-ci ne saurait être mené sans transformation profonde de notre modèle économique et social, ni sans demander aux plus gros consommateurs de réduire dans l’urgence leurs consommations.
Aujourd’hui, les retards pris pour engager la France sur les rails de la transition énergétique et l’absence d’anticipation du gouvernement sont criminels. Ils sont la cause de notre dépendance aux énergies fossiles, autant que de la crise sociale profonde qui en découle. Ces retards nous mènent également à une situation de crise qui oblige à prendre des mesures d’urgence pour passer l’hiver. Dès lors, chaque mesure prise doit contribuer à réduire la précarité et à un modèle social plus juste.
La sobriété c’est la réduction de ce qui peut être considéré comme superflu, non nécessaire, voire franchement inutile. Au-delà de la crise actuelle, c’est notre consommation énergétique et notre dépendance aux énergies fossiles qui sont à interroger. Il n’y a pas de justice sans réduction de la consommation et de l’usage de l’énergie.
Il faut donc commencer par se fixer des objectifs contraignants et ambitieux de réduction de la consommation d’énergie – gaz comme électricité – d’au moins 15% ainsi que le propose la Commission européenne ; accélérer l’efficacité énergétique ; et miser sur les renouvelables, durablement moins chères, vers le 100% en 2040. Et il nous faut dans le même temps garantir la justice sociale, au cœur d’une crise qui est par ailleurs révélatrice des injustices marquant profondément la société française. Nous souhaitons que chacune et chacun ait accès à une énergie abordable. Aujourd’hui et à l’avenir, ici et partout sur notre planète, chacun doit disposer d’un droit à l’énergie : un accès garanti à une énergie qui ne nuise ni aux écosystèmes, ni à la santé.
La proposition de projet de loi de finances pour 2023 ne lutte pas contre les inégalités comme nous y aspirons. Nous dénonçons la manipulation qui consiste à faire financer en partie le bouclier tarifaire, et donc les énergies fossiles, par les énergies renouvelables. Nous rappelons aujourd’hui la responsabilité majeure des grandes sociétés du gaz et du pétrole (ainsi que de ses dérivés plastiques) dans le dérèglement climatique, dans la construction de notre dépendance aux énergies fossiles, via un lobbying féroce, et dans la crise actuelle de flambée des prix. Nous libérer de cette dépendance en faisant appliquer le principe pollueur-payeur est une urgence.
Nous devons faire preuve de responsabilité, et instaurer de toute urgence le dialogue et la coopération pour engager un chemin vers la sobriété juste. Il faut cesser de la dévoyer en économies d’énergie ponctuelles, souvent inadaptées, et redéfinir un projet politique et démocratique commun, dans lequel l’usage et la consommation sont associés à une conscience aiguë de leurs impacts sur nos écosystèmes. Ce dialogue doit avoir lieu dans tous les territoires avec l’ensemble des citoyen·ne·s, afin de donner les moyens à toutes et tous de repenser nos façons de consommer, de nous déplacer, d’habiter et de faire collectivement ces choix de société. Nous réitérons nos appels à plus de démocratie en entreprise : nous accueillons les plans de sobriété qui y sont aujourd’hui déployés et rappelons qu’ils doivent faire l’objet d’une contribution de l’ensemble des parties prenantes de la vie de ces entreprises, à commencer par les syndicats.
Faire preuve de responsabilité, c’est avoir à l’esprit que les choix effectués dans l’urgence pour répondre à une situation immédiate doivent être des choix de long-terme : on ne peut pas lutter maintenant contre la hausse des prix de l’énergie et repousser la transformation écologique, cela ne ferait qu’augmenter la facture énergétique. Il nous faut au contraire engager dans l’urgence la bifurcation écologique, sur le triptyque sobriété, efficacité énergétique et développement des alternatives aux fossiles. Discutons, planifions, repolitisons ce qui doit être avant tout un choix de société, celui de la sobriété juste.
I. Notre priorité, partager. Garantir l’accès abordable à l’énergie pour les ménages et les services publics
Protéger les ménages les plus précaires
Le bouclier doit être accompagné d’un fort soutien aux plus précaires avec un chèque énergie rehaussé à 1 000 €. Le bouclier tarifaire masque les inégalités immenses face à la consommation énergétique. Pour être socialement juste, la mesure doit donc être impérativement ciblée sur les 5-6 déciles les plus précaires, qui sont également les plus dépendants aux énergies fossiles pour se déplacer ou se chauffer. Cette mesure doit s’accompagner d’une interdiction généralisée des coupures d’électricité pour impayés, ainsi que d’une intégration des copropriétés en chauffage électrique collectif dans le bouclier tarifaire. Enfin, la République doit garantir la gratuité des premières quantités d’énergie indispensables à une vie digne et instaurer au-delà une tarification progressive qui pénalise les mésusages et gaspillages.
Le bouclier tarifaire doit aussi inclure les bailleurs sociaux pour absorber la hausse des factures dans le logement social, en tenant compte notamment des parties communes, et une revalorisation du forfait charge des APL, comme le propose la fédération des offices publics de l’habitat.
Assurer la continuité des services publics
A court terme, le sous-investissement public (par exemple dans les réseaux de transports collectifs) et la forte augmentation des coûts de l’énergie vont mettre en danger un certain nombre de services publics critiques, comme les universités, hôpitaux, … déjà fragilisés par l’application de la logique de rentabilité économique, par la crise sanitaire et par des décennies de sous-investissement. Sans aide de l’État, ces services ne pourront être assurés, avec des conséquences parfois dramatiques, et reporteront en outre la charge sur les usagers (travail en distanciel, transport) augmentant d’autant la précarisation des plus fragiles et globalement l’inefficacité énergétique : transport individuel plutôt que collectif, télétravail dans des passoires thermiques plutôt qu’en présentiel, etc. Une mesure prioritaire est donc de soutenir au plus vite ces services publics essentiels et d’y réengager l’État.
Face à l’explosion des charges, soutenir les collectivités
Les collectivités territoriales n’étant pas toutes incluses dans le bouclier tarifaire, celles-ci se retrouvent à engager des sommes financières importantes mettant en danger leur capacité d’investissement voire de trésorerie. Leur apporter une aide financière rapide est donc une action prioritaire pour assurer la continuité des services publics de proximité. Nous demandons une prise en charge par l’État de l’excès inhabituel des factures des collectivités territoriales, avec en regard des contreparties exigées des collectivités en termes d’engagement dans la transition et la sobriété énergétique.
Nous demandons l’indexation de la DGF (Dotation Globale de Fonctionnement) et le bouclier tarifaire pour les collectivités, et refusons tout mécanisme de redressement des finances publiques qui viendrait restreindre les capacités d’actions des collectivités et mettrait en péril les services publics locaux essentiels.
Par ailleurs, afin de soutenir et développer l’offre ferroviaire et les déplacements en train, il est impératif que l’État compense les surcoûts d’énergie demandés par la SNCF aux régions. Leur situation financière post covid ne peut leur permettre d’assumer ces surcoûts sans revoir leurs dotations.
Taxer les surprofits : une mesure de justice
Étant donné la situation extraordinaire dans laquelle nous sommes, l’Union européenne et les pays membres doivent entraver les profiteurs de crise qui font des profits sur le dos de l’immense majorité de la population. L’Union européenne doit mettre en place une taxe rétroactive sur les profits extraordinaires de toutes les entreprises qui ont vu leurs bénéfices s’envoler depuis le début de la guerre. Les revenus de la taxe devront être affectés à celles et ceux qui souffrent le plus de cette crise.
Nous proposons que celle-ci s’applique aux entreprises générant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, et de calculer le montant de la taxe en comparant les bénéfices moyens de cinq années précédentes avec ceux de l’année fiscale 2022, et de taxer la différence à hauteur de 50%.
Les profits exceptionnels enregistrés par les grandes entreprises proviennent en partie des conséquences de la guerre en Ukraine. Ces superprofits ne sont pas la contrepartie du mérite ou des efforts des entreprises, ils constituent une aubaine injustifiée et payée au prix fort par les consommateurs. L’ONU et diverses organisations internationales promeuvent le principe d’une taxe sur les superprofits, et plusieurs Etats y ont déjà eu recours. Afin que la taxe soit la plus efficace possible, elle devrait être mise en œuvre sans tarder à l’échelle européenne.
Nous demandons une mise en œuvre de cette contribution au-delà de la période du 31 mars 2023 en la maintenant jusque fin 2025 au minimum ; et appelons à prioriser l’allocation forfaitaire en fonction de la situation des ménages (plutôt qu’une ristourne sur le prix de l’essence comme actuellement en France) et auprès des PME. Les soutiens aux plus grandes entreprises doivent être conditionnés à des plans de sobriété (investissements dans les énergies renouvelables, rénovations, plans de circulation de leurs salarié·e·s) et des négociations salariales obligatoires.
Nous demandons une taxation française avant le 31 décembre sans attendre la mise en place de la contribution européenne. La création d’une taxe française sur les superprofits réparerait en effet une injustice majeure, financerait les efforts de sobriété demandés aux plus précaires et montrerait notre détermination à trouver un accord européen. Cette taxe exceptionnelle doit en réalité engager une transformation plus profonde de notre fiscalité.
Instaurer L’ISF climatique pour financer la transformation écologique.
Le débat ne doit pas se limiter à la taxe sur les surprofits : de nombreuses propositions sont sur la table pour une fiscalité juste qui soutient la transition écologique. Nous proposons depuis plusieurs années la création d’un impôt climatique sur la fortune, qui taxera les patrimoines supérieurs à 2 M€ et comportera un bonus-malus selon l’impact des actifs financiers et immobiliers sur le climat, qui rapportera au moins 15 Mds€. Le principe de cet impôt est celui d’un taux d’imposition décomposé en deux parties : un taux de base qui sera progressif, et un bonus-malus de +/- 0,5 % calculé selon l’empreinte carbone des actifs détenus. Il devra avoir une assiette large en intégrant les biens professionnels. cet impôt doit être mis en place sans tarder pour enfin enclencher donner les bases pour de véritables plans d’investissement dans la transition. Nous demandons sa mise en place lors du projet de loi de finances pour 2023.
Aujourd’hui, le fonds vert du gouvernement (1,5 Mds €) pour l’investissement n’est pas suffisant quand on estime à environ 10 milliards d’euros par an les besoins des collectivités pour la transition, soit près de 20 % de leur budget d’investissement. Nous proposons qu’une partie des recettes d’un impôt national, qui peut être cet ISF, soit affectée aux collectivités pour soutenir l’investissement dans la transition écologique, bénéfique pour l’emploi sur nos territoires.
II. Réduire les consommations : viser le superflu, sauver l’essentiel
Entreprises et industrie
La flambée des prix de l’énergie entraîne déjà des réductions d’activité voire des fermetures temporaires d’établissements dans les entreprises, des industries aux artisan·e·s. Ces fermetures auront des conséquences sociales et économiques désastreuses pour les salarié·e·s concerné·e·s et pour les entreprises les plus fragiles. Les entreprises peuvent avoir recours au dispositif d’activité partielle, ou chômage partiel. Son déploiement massif pendant la crise du COVID, a protégé les salarié·e·s et les entreprises grâce à des règles d’indemnisation couvrant la quasi-totalité de la rémunération précédemment versée par l’entreprise. Or, depuis septembre 2022, le dispositif d’activité partielle est revenu à son niveau d’avant COVID. Il fixe à 60 % du salaire brut par heure chômée l’indemnité à verser à l’employé·e, soit 72 % du salaire horaire net. Ce niveau est insuffisant dans un contexte de forte inflation. Nous proposons de revoir l’indemnisation de l’activité partielle afin qu’elle couvre la quasi-totalité de la rémunération des salariés pendant la durée de la crise énergétique afin de préserver l’emploi et les salaires. A cet effet, nous demandons la pérennisation du dispositif SURE initié par la Commission européenne pendant la pandémie, et qui permet d’aider les Etats membres à financer des dispositifs nationaux de chômage partiel, des mesures similaires visant à préserver les emplois et à soutenir les revenus. Au-delà de l’accompagnement humain, un accompagnement financier doit être prévu pour les entreprises et les territoires les plus impactés par la flambée des prix.
La transformation plus profonde de notre modèle économique, agricole et en particulier industriel est indispensable. Aujourd’hui, 64% du gaz utilisé par l’industrie européenne est remplaçable à court-terme par des pompes à chaleur ou autres technologies matures d’énergies renouvelables. Nous appelons à l’interdiction d’ici 2025 de l’usage de gaz lorsqu’il est aisément remplaçable par d’autres technologies, ainsi qu’à l’instauration d’une obligation pour les plus grandes entreprises, en particulier celles du CAC40, d’investir dans la transition. Avant la crise, ces entreprises allaient jusqu’à puiser dans leur trésorerie pour verser des dividendes à leurs actionnaires, malgré les besoins sociaux et les besoins conséquents en matière de transformation écologique.
Notre modèle est simple : les entreprises qui refusent de jouer le jeu de la sobriété juste et de la transition énergétique et écologique doivent en être tenues responsables ; celles qui s’engagent doivent au contraire être accompagnées. Nous regrettons la faiblesse du programme dégagé par le gouvernement pour la “décarbonation” de l’industrie française : autour de 6 milliards d’euros, principalement par “appel à projet innovation” et dont 1,6 milliards a été octroyé à la très riche et très pollueuse ArcelorMittal ! Les sommes mises sur la table doivent plutôt accompagner les entreprises dans leur transformation des énergies fossiles vers la sobriété, l’efficacité énergétique et les renouvelables. Nous appelons également, plutôt qu’un programme commun européen d’achat de gaz qui pourrait avoir pour effet de relancer l’industrie gazière s’il n’est pas accolé à une obligation de sortir du gaz d’ici 2035, à un programme commun d’achat de pompes à chaleur à destination aussi bien de l’industrie que du secteur du bâtiment.
Nous posons également une question : n’est-il pas temps d’envisager, avec un indispensable accompagnement économique et social des salarié·e·s, la fermeture de ces entreprises hyper-consommatrices de gaz et dont les produits détruisent la santé et le vivant, ainsi que des engrais chimiques ?
Chauffage
L’adaptation des usages de l’énergie ne peut être déléguée uniquement aux consommateur·trices. Cette responsabilité doit être partagée avec le secteur privé pour assurer une répartition efficace et juste, sous la forme de mesures contraignantes et appliquées effectivement. Et surtout, il s’agit de stopper les consommations superflues d’énergies pour sauvegarder celles qui sont essentielles.
Le dispositif d’alerte Ecowatt développé par RTE doit être déployé avec discernement et efficacité pour espérer qu’il ait un impact positif sur l’adaptation des consommations en fonction des contraintes sur les réseaux. La communication de l’existence de ce dispositif devra être également la plus massive possible.
Le chauffage en entreprise ou dans les administrations représente une part importante de la consommation hivernale et par conséquent doit être limité légalement à 19 °C. Cette limite doit pouvoir être ponctuellement réduite en situation de tension du réseau. Les dispositifs d’effacement en direction des entreprises doivent être développés pour assurer plus de capacité de flexibilisation au réseau électrique.
Éclairage
En plus d’un accompagnement des collectivités territoriales pour la création de plan éclairage ambitieux qui réduisent massivement la quantité, la durée et la puissance des points lumineux publics, nous demandons l’interdiction de l’éclairage extérieur nocturne des boutiques, devantures et immeubles de bureaux dans toutes les villes. Celui-ci doit être respecté, avec des rondes de police spécialement dédiées à la verbalisation de ces pratiques pourtant déjà illégales et encore trop courantes.
Sortir de la société de consumation : Publicité
La publicité numérique doit, elle aussi, être bannie. Nous soutenons la mesure, déjà demandée en 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, d’interdiction pure et simple des écrans numériques publicitaires dans l’espace public, les transports en commun et les points de vente (y compris ceux situés à l’intérieur des commerces derrière des vitres tournées vers la voie publique, qui échappent aux règlements locaux de la publicité extérieure). Selon l’ADEME, un simple écran numérique de 2 mètres carrés consomme chaque année autant d’électricité qu’un ménage qui doit s’éclairer et faire tourner ses appareils électroménagers. Leur interdiction est une mesure urgente, et elle ne doit pas être temporaire. Lutter contre la publicité, c’est aussi lutter contre un modèle économique qui repose sur la surconsommation autrement appelée la consumation ; elle est l’illustration d’une mesure de court-terme qui contribue à long-terme aussi bien à la préservation de la planète qu’à une vie abordable pour toutes et tous.
Télétravail, chômage partiel et réorganisation du temps de travail
Le télétravail, quand il est volontaire et compatible avec les missions, et qu’il permet de fermer des bâtiments, par exemple en cas de vague de froid, fait partie des solutions qui ne dégradent pas le service rendu. Cependant, il reporte le coût financier de l’énergie sur les salarié·e·s qui ne peuvent pas tou·te·s l’assumer. Le télétravail doit donc absolument rester sur la base du volontariat des salarié·e·s.
Les employeurs doivent de leur côté prendre leurs responsabilités. Ils ont un rôle majeur à jouer dans l’effort collectif de sobriété. L’État doit leur fixer des objectifs de sobriété et ils devront via la négociation avec leurs salarié.e.s s’engager à les atteindre, via par exemple une réduction drastique des vols pour les voyages d’affaires, des dispositifs de télétravail volontaire, des politiques de soutien au covoiturage et à l’utilisation de moyens de transports décarbonés.
De même, la situation doit permettre d’ouvrir le débat de l’organisation du temps de travail et faciliter l’expérimentation de la semaine de quatre jours. En effet, si nous concevons travailler moins dans l’objectif de vivre mieux selon les choix et moments de vie, la réduction du temps de travail est également une solution adaptée pour réaliser des économies d’énergie. Une réduction de 1 % du temps de travail permet une réduction de la consommation d’énergie et d’émission de gaz à effet de serre de 0,8 % en moyenne[1].
Rénovation thermique des bâtiments
C’est la mesure d’efficacité énergétique la plus urgente, et elle transformera durablement la qualité de l’habitat tout en contribuant à mettre la France dans la bonne trajectoire de réduction de ses émissions de gaz à effets de serre : Nous devons créer un vaste service public décentralisé chargé de mettre en œuvre un plan massif de rénovation des logements et bâtiments. Il faut pour cela investir 10 milliards d’euros par an pour atteindre sur le quinquennat une réduction de 50 % de la consommation d’énergie.
Dès cet automne, il est possible de monter des équipes énergies composées d’agents publics recrutés et formés, en appui avec les collectivités locales qui ont pris déjà de nombreuses initiatives, pour aller à la rencontre des Français.es et de leur logement, et des mesures immédiates doivent pouvoir être appliquées pour l’isolation et la réduction des dépenses énergétiques des logements les plus précaires.
Nous devons agir d’urgence pour en finir avec les 5 millions de passoires thermiques en France. Pour les rénover, les travaux doivent être intégralement avancés pour les ménages modestes et une obligation de rénovation des locations doit être instaurée. Des mesures d’accompagnement, de formation et des dispositifs d’aides financières doivent être proposées aux ménages souhaitant auto-rénover leur logement au sein d’un parcours incluant des professionnels. Le tiers financement doit être généralisé pour rembourser les travaux avec les économies d’énergie réalisées et permettre non plus des “gestes” de rénovation mais des rénovations globales.
La rénovation thermique va de pair avec le développement de la chaleur et du refroidissement renouvelable. L’accessibilité financière à ces énergies renouvelables qui permettent à la fois de développer l’efficacité énergétique, qui ont une faible empreinte carbone et garantissent notre indépendance énergétique est une priorité. Grâce à la rénovation thermique, nous pourrons moins nous chauffer et mieux nous chauffer l’hiver et nous rafraîchir l’été.
Un plan massif d’aide aux collectivités doit être mis en œuvre d’urgence pour permettre la rénovation des bâtiments publics. L’installation de solaire thermique ou photovoltaïque sur les toitures des bâtiments publics doit devenir la norme et ainsi être rendue obligatoire, sauf contrainte architecturale ou technique majeure. Le soutien financier pour les équipes techniques dédiées au sein des collectivités doit être renforcé (energy manager, techniciens, etc.).
Enfin, il est nécessaire d’investir massivement sur la formation des professionnels (artisans, ingénierie, industries) et d’augmenter de 100 000 leur nombre à horizon 2030.
Économie circulaire et mutualisation
La crise de l’énergie doit constituer un signal clair : les acteurs publics et privés implantés sur nos territoires doivent coopérer et mutualiser pour une utilisation sobre et partagée de l’énergie. Trop souvent, la chaleur générée par une entreprise ou une collectivité est perdue au lieu d’être valorisée pour d’autres utilisations. Trop souvent, on ne perçoit pas que les déchets d’une activité peuvent être les matériaux d’une autre. Il existe un potentiel inexploité de l’économie circulaire en France qui est pourtant essentiel pour parvenir à une économie plus sobre. Nous proposons un grand plan pour l’économie circulaire, qui double les fonds de France relance dédié à l’économie circulaire, incite les acteurs à se regrouper au sein de structure adaptée à la coopération et à la mutualisation de solution. Les pôles territoriaux de coopération économique constituent à cet égard des outils trop peu employés. Il faut les renforcer et encourager leur création. Enfin, le plan devra lancer sans délai des appels à projet pour les groupements de collectivités, d’entreprises et d’association, sur des thématiques liées à la récupération de l’énergie, des déchets, la mutualisation des bâtiments et des solutions de transport pour les salariés.
Un “bouclier mobilité” pour faciliter des usages sobres dès aujourd’hui
Il est possible de développer les alternatives à la voiture et à l’avion sur le très court terme, avec des impacts dès cet hiver. Pour rendre le train et les transports collectifs attractifs et ainsi permettre à tous les ménages, dont les plus précaires, de se déplacer, nous demandons la mise en place d’un Ticket climat. Une tarification avantageuse pour les transports publics permettra à tous et toutes d’avoir accès à la mobilité à un faible coût tout en réalisant d’importantes économies de carburants. Alors que le prix des billets de train a augmenté de 13 % entre 2021 et 2022 selon l’INSEE, le ticket climat refera du train une solution accessible et populaire.
Cette mesure doit s’accompagner d’un plan d’investissement massif sur le moyen-terme pour régénérer le réseau, lancer les transports urbains reliant les métropoles et la ruralité, etc. 3 milliards d’euros d’investissements manquent chaque année au ferroviaire. Les transports collectifs doivent être considérés comme des biens de première nécessité dont la TVA doit être ramenée à 5,5% dès le budget 2023.
Par ailleurs, il faut immédiatement stopper les extensions d’aéroports, limiter le nombre de créneaux de vol et plafonner les émissions des plateformes aéroportuaires. Nous demandons également la suppression de toutes les niches fiscales défavorables pour le climat, en particulier celle qui concerne le transport aérien intérieur.
Concernant l’usage de la voiture individuelle, nous préconisons pour cet hiver de limiter la vitesse à 110km/h sur les autoroutes, 100 sur les voies rapides, 80 sur routes, et de généraliser le 30km/h en ville.
Transports : engager dès aujourd’hui la transformation profonde du secteur
En France, les transports sont le premier secteur émetteur de CO₂ et le seul secteur qui ne réduit pas ses émissions depuis 1990. Cependant, décarboner les transports ne revient pas seulement à substituer au pétrole d’autres énergies “plus propres”, mais de repenser tout le système de la mobilité : questionner le besoin, l’organisation des territoires et le lien entre transports et modes de vie. On connaît par exemple les effets sociétaux de la dépendance à l’automobile : désertification des centres-villes, extension des zones commerciales et des banlieues pavillonnaires sous-équipées… Réduire l’énergie consommée et les émissions de polluants passe par la réduction des kilomètres parcourus, et donc par la « démobilité ». La puissance publique doit dès maintenant initier des politiques permettant de reprendre le contrôle de la « fabrique de l’espace » pour réduire les distances du quotidien : mieux contrôler l’urbanisme opérationnel, faire apparaître le vrai prix du transport de marchandises pour favoriser la production locale etc.
Cela posé, il reste à déployer massivement les modes alternatifs au routier (ferroviaire, fluvial, cyclable) en soutenant, développant, rénovant leurs infrastructures, pour permettre un report modal d’ampleur. Notre réseau ferroviaire classique est dans un état préoccupant et notre investissement n’est pas à la hauteur de celui de nos voisins européens (3 fois plus en Allemagne et 9 fois plus en Suisse par habitant). La mesure de base doit être un plan décennal de 100 milliards d’euros pour rénover ces infrastructures et développer les services. Il s’agit de définir un schéma de desserte minimum pour le territoire, et la dotation aux collectivités pour réaliser cette desserte. Il faut instaurer des chocs d’offre, avec des trains suffisamment nombreux pour créer une dynamique de fréquentation et donc de recettes, pour enclencher des cercles vertueux et a minima doubler la part modale du ferroviaire. La filière ferroviaire doit être structurée, en développant la formation professionnelle et en renforçant la souveraineté industrielle par la relocalisation de la production des composants. Concernant le transport de marchandises, la régénération des infrastructures dédiées aux modes économes en énergie, ferroviaires et fluviales, est indispensables pour permettre un report modal massif vers des modes économes en énergie et aux faibles externalités négatives
Concernant les modes actifs, un plan de grande ampleur doit également être initié. Le vélo est encore trop considéré comme une activité de loisir. Il faut rendre obligatoire le forfait mobilités durables à la demande des employés cyclistes.L’État doit intensifier ses efforts en faveur de l’usage du vélo, en pérennisant au-delà de 2023 ses engagements du Plan Vélo pour financer des infrastructures cyclables et le stationnement sur tout le territoire. La marche à pied, premier mode sur de la courte distance, doit être considérée comme un mode à part entière, facilitée et sécurisée grâce à la résorption des coupures urbaines et l’élaboration de plans piétons d’ampleur. Pour promouvoir les modes alternatifs à la route, tous les instruments réglementaires et fiscaux doivent être mobilisés.
Lorsque l’usage de la voiture est inévitable, en particulier en milieu rural, nous préconisons de soutenir les initiatives solidaires et celles des collectivités locales en faveur des services de covoiturage et d’autopartage. Il faut également développer l’utilisation des véhicules électriques comme batteries pour le réseau électrique, le tout couplé à des installations solaires. Il faudra veiller à l’efficacité énergétique de ces véhicules avec un objectif de 10 kWh/100km en cycle WLTP ainsi que la réduction des pertes à la recharge à 10% maximum. (celles-ci peuvent aller jusqu’à 35% actuellement). Concernant les SUV, il s’agit de leur donner enfin une définition et de créer une catégorie sur la carte grise ainsi qu’un malus au poids (10€ par kg supplémentaire, comme le préconisait la Convention citoyenne) qui s’ajoute au malus CO2 existant.
Une aide à la transition : le forfait mobilités durables
Nous proposons de rendre obligatoire le forfait mobilités durables et d’augmenter son plafond à un minimum de 1000 euros par an et par salarié·e, en le substituant aux indemnités kilométriques vélo et aux indemnités forfaitaires de covoiturage. Cela obligera les employeurs publics comme privés à attribuer une indemnité exonérée de cotisations aux salariés jusqu’à 1000 euros privilégiant les modes de transport dits « à mobilité durable » pour effectuer les trajets entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail. Les modes de transports concernés sont le vélo, avec ou sans assistance électrique ; le covoiturage en tant que conducteur ou passager ; les transports publics de personnes (autres que ceux concernés par la prise en charge obligatoire des frais d’abonnement de transport en commun) ainsi que les autres services de mobilité partagée.
Reprendre le contrôle de notre politique énergétique
Nous demandons la suspension urgente et la remise à plat des règles du marché européen de l’électricité pour revenir à des tarifs réglementés et garantir une solidarité européenne.
Plusieurs États membres appellent à une réforme des marchés de l’énergie de l’UE. Une mesure consisterait à découpler définitivement le prix de l’électricité du prix du gaz. Une autre à adapter les propositions de la réforme en cours du marché du gaz (propositions législatives à partir de décembre 2021). Dans le contexte de la crise actuelle, il est clair que la recette consistant à « augmenter le gaz et à diversifier l’approvisionnement » et à financer une économie de l’hydrogène surdimensionnée et soi-disant à faible émission de carbone sur le dos des citoyens ne fonctionnera pas et ne fera qu’accroître notre dépendance énergétique. Bien avant la crise, les parties prenantes ont demandé à la Commission de retirer et d’actualiser ses propositions afin qu’elles soient davantage axées sur le climat et les citoyen.ne.s vulnérables.
En complément, nous soutenons que le projet MidCat ne devrait même pas être considéré et nous opposons à tout autre projet de gazoduc et oléoduc, tout particulièrement en Méditerranée.
Sur les marchés de l’électricité et du gaz, il semble plus urgent que jamais de corriger le rapport de force entre les entreprises énergétiques et les ménages. Cela devrait consister en des mesures telles que l’interdiction des déconnexions forcées, la mise en place obligatoire de tarifs sociaux dans tous les États membres pour les ménages en situation de risque ou de pauvreté énergétique et la garantie que les fournisseurs de dernier recours soient abordables pour ceux qui sont obligés d’y recourir. Un soutien efficace, des périodes de remboursement plus longues, des services de médiation et de traitement des plaintes et un renforcement des droits des consommateurs doivent aller de pair avec une meilleure transparence des tarifs, des factures et des possibilités de changement, notamment vers les énergies renouvelables, ainsi qu’avec une réduction de la consommation.
Mix énergétique : engager dès aujourd’hui la transformation profonde
Faire croire à la relance du nucléaire comme solution de sobriété énergétique sur le court terme est une gabegie et un mensonge, qui permet d’éviter de lancer la France dans la transformation profonde de son mix énergétique alors que celle-ci est aujourd’hui indispensable, inévitable et urgente. Nous payons chaque jour le retard pris à lancer les investissements nécessaires.
Il est nécessaire de relancer une filière de production de panneaux solaires au contenu carbone le plus faible possible, idéalement en France et sinon en Europe, notamment en accompagnant les projets de gigafactories de production de modules solaires. C’est dans cette perspective par exemple que EDF ne devrait pas se séparer de Photowatt mais plutôt investir massivement pour en faire un leader français et européen de notre futur marché solaire.
Au-delà du solaire, le déploiement de l’éolien notamment offshore doit être accéléré. L’éolien offshore flottant va s’avérer une technologie cruciale pour l’atteinte de nos objectifs climatiques. La France ne doit pas perdre son avance acquise dans cette technologie et accélérer le déploiement, sans concéder sur la protection de la biodiversité.
C’est aussi dans cette optique qu’il faut dynamiser dès maintenant la formation aux métiers indispensables (, EnR, batteries, électromécanique, etc.) et pourquoi pas développer la production de silicium en France.
Enfin, il faudra créer un cadre réglementaire et une méthodologie favorable aux communautés d’énergie afin de faciliter l’implication citoyenne dans les problématiques de production. Ceci passe notamment par l’assouplissement des règles concernant l’autoconsommation collective, ce qui pourrait favoriser l’éolien également. Il faudra évidemment concilier au mieux développement des EnR et protection de la biodiversité.
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Toutes ces mesures sont défendues par les écologistes dans tous les territoires. Elles doivent engager la France dans une profonde transformation fondée sur la justice sociale, en garantissant que chacune et chacun vive mieux. C’est cela, une politique de sobriété juste. Elle est urgente et nécessaire.
Texte non soumis au vote
[1] source: Jonas Nässén. Voir aussi Kyle Knight, Eugene Rosa et Juliet Schor, 2013. Des exemples testés dans le monde prouvent cette corrélation. Aux États-Unis, l’État de l’Utah avait expérimenté de 2007 à 2011, une semaine de 4 jours. Cette mesure a permis une réduction de 12 000 tonnes par an de CO2 et une économie énergétique de 1,8 millions de dollars.
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