Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 2 et 3 octobre 2021
Exposé des motifs
Cet été, à l’occasion du mouvement anti pass sanitaire et anti-vaccin, qui a réuni entre 150 000 et 250 000 personnes dans la rue chaque samedi, la persistance et la virulence du discours antisémite ont pu être à nouveau constatées. Certes, la majorité des manifestant·e·s ne se reconnaissaient pas dans ce discours et ces pancartes, plus ou moins explicites, qui faisaient référence à l’imaginaire antisémite [1]. Mais l’antisémitisme était bien présent, et pas seulement de manière anecdotique, car loin d’être seulement cantonné à la marge des cortèges, il semblait irriguer une partie importante des analyses complotistes de la situation sanitaire et de la critique du pouvoir [2].
De plus, et sans doute pour la première fois, des associations et des partis qui se revendiquent pourtant progressistes et humanistes, ont accepté de défiler aux côtés de différents mouvements d’extrême-droite et populistes, qui ont remis au goût du jour et sans vergogne les vieilles rengaines antisémites, signe inquiétant d’une certaine banalisation de ce type de discours.
Sur les réseaux sociaux, et malgré la loi française, l’antisémitisme 2.0 se développe aussi sans retenue. Récemment, un site dressait une liste des patronymes juifs dans les médias, parmi la classe politique et les médecins [3], pendant que les dirigeants d’un célèbre site français de financement participatif assumaient tranquillement d’héberger des contenus ouvertement antisémites et complotistes [4] ; divers groupuscules d’extrême-droite se sont d’ailleurs constitués en ligne ces dernières années, dont les meneurs accèdent parfois au statut « d’influenceurs » et répandent une esthétique ouvertement violente et raciste [5].
Cette libération de la parole antisémite a des conséquences graves. En 2019, selon le Ministère de l’Intérieur, « 687 faits à caractère antisémite ont été constatés », dont 151 atteintes à des personnes ou des biens. C’est 140 faits supplémentaires que l’année précédente [6]. Il est encore courant d’observer des tags antisémites devant les logements de personnes juives ou dans les cimetières confessionnels, et depuis 2006 au moins dix français·e·s sont mort·e·s parce que juifs.
L’antisémitisme a ses spécificités, par son ampleur, sa persistance dans l’histoire et sa diversité d’expression. Il touche aussi bien des mouvements de gauche que de droite, la littérature ou les médias, et les exemples en sont trop nombreux. Depuis Maurras jusqu’à Proudhon, des pamphlets de Céline aux spectacles de Dieudonné, des dessins « humoristiques » du jeune Yann Moix [7] aux délires des QAnons francophones… la haine des juifs est semble-t-il un cliché bien partagé en France, que l’on retrouve aussi dans des déclarations de nombreuses personnalités politiques françaises à travers l’histoire, et pas seulement là où les attend le plus, c’est-à-dire à l’extrême-droite.
Le vieil antisémitisme chrétien, celui du « peuple déicide », reste toujours d’actualité, on a pu le retrouver dans des publications en ligne d’une célèbre députée de confession catholique quand elle s’inquiète de la loi sur le mariage homosexuel [8] ; aujourd’hui il se raccroche volontiers aux wagons du moment : un groupuscule catholique intégriste, qui appelle par ailleurs à « la séparation du CRIF et de l’État » [9] et conseille la lecture de Maurras à ses adhérents, était présent aux manifestations de cet été contre la vaccination et le pass sanitaire.
Par ailleurs, à propos du conflit israélo-palestinien, la critique de la politique des gouvernements israéliens successifs, depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 qui marque la fin du processus de paix des Accords d’Oslo [10], est régulièrement instrumentalisé par le discours antisémite, souvent sous le prétexte de la lutte anti-impérialiste et tiers-mondiste. Cet antisémitisme est condamnable en tant que tel, mais aussi parce qu’il affaiblit le combat pour une paix juste et durable dans la région entre les Israéliens et les Palestiniens, ainsi que l’application de la résolution 2334 de l’ONU [11].
En se limitant au 21e siècle, de nombreux responsables politiques venant de la droite, du centre mais aussi des différentes tendances de la gauche, ont en effet créé la polémique et soulevé l’indignation d’une grande partie de la communauté juive, à la suite de propos ou d’iconographies proprement antisémites ou jugés comme tels.
Les multiples incarnations de l’antisémitisme se traduisent ainsi en instrumentalisation de conflits internationaux, en haine répandue sur les réseaux sociaux, elles alimentent la rhétorique complotiste, sont au cœur d’une extrême-droite qui s’organise et se banalise, elles dévoient la nécessaire et juste critique des méfaits de la mondialisation et des ravages sociaux du néolibéralisme financier.
Au-delà d’engagements individuels, locaux ou épisodiques, il nous paraît donc nécessaire qu’EELV prenne clairement position contre l’antisémitisme latent qui traverse l’entièreté de la société française. Au-delà d’un engagement moral contre l’antisémitisme, EELV doit être en mesure de développer un corpus programmatique à la hauteur des enjeux actuels, d’autant plus que l’écologie politique se veut à l’avant-garde des combats contre toutes les discriminations.
Constitué à l’heure actuelle d’une vingtaine de militant·e·s réuni·e·s via un groupe Signal, le groupe de travail « Lutte contre l’antisémitisme », dont nous proposons donc l’officialisation par le Conseil Fédéral, a entamé depuis mai 2021 un effort de documentation et de veille, a déjà tenu plusieurs réunions de travail en visioconférence et a rencontré le GT « Lutte contre le Front National » afin d’échanger sur les synergies communes.
En bonne intelligence avec les commissions thématiques nationales du parti, notamment Quartiers Populaires et Justice, le GT Lutte contre l’antisémitisme se propose de travailler notamment sur six axes :
- Contribuer à un historique des positionnements du parti sur le sujet avec constitution d’une bibliographie (en lien avec le site www.archivesecolo.org) ;
- Esquisser les contours de l’antisémitisme contemporain, notamment via ses résurgences en ligne et dans les discours politiques ;
- Identifier les outils et proposer des solutions pour identifier et pour lutter efficacement contre les discours antisémites ;
- Interroger les programmes de l’écologie politique aux échéances électorales (y compris les élections présidentielles et législatives de 2022) du point de vue de la lutte contre l’antisémitisme ;
- Tisser des liens avec les différentes organisations et assurer la participation du mouvement aux différentes mobilisations contre l’antisémitisme ;
- Former et informer les militant·e·s et élu·e·s, notamment celles et ceux en responsabilité, sur cet enjeu et sur les politiques publiques locales et nationales adéquates pour y répondre.
Motion
En conséquence, le Conseil Fédéral, réuni les 2 et 3 octobre 2021 en séance plénière, à Paris, décide :
- qu’un groupe de travail intitulé « Lutte contre l’antisémitisme » est créé au sein du parti EÉLV ;
- que ce groupe de travail se donne pour mission d’exercer une veille sur les mouvements antisémites actuels et passés, d’en documenter leur histoire et leur actualité, d’interroger aussi l’histoire de l’écologie politique et ses programmes sur ces questions, d’émettre des propositions de doctrine et d’action afin de lutter contre l’antisémitisme, partout où il se trouve, de proposer des solutions de formation et d’information des élu·e·es et des militant·e·s ;
- Qu’à cette fin, le Groupe de travail pourra auditionner différent·e·s spécialistes universitaires, mouvements et associations ;
- Que ce GT travaillera de manière transversale avec tous les organes du parti EÉLV, dans un esprit de co-élaboration, notamment avec les commissions thématiques nationales ;
- que ce GT devra rendre compte de sa première année d’activité lors du Conseil Fédéral qui se tiendra à la rentrée 2022 ;
- Que le GT puisse proposer des prises de position aux porte-parole d’EÉLV
Unanimité pour
Notes :
[1] « Mais qui ? », de la blague virale au slogan antisémite, Le Monde, 10 août 2021
[2] Caricatures, complot, liste de noms : le coronavirus engendre des attaques antisémites sur le web, France Inter, 30 mars 2020
[3] #ilssontpartout : le fondateur du site antisémite mis en examen pour « injure et provocation à la discrimination”, Le Midi Libre, 23 août 2021
[4] Les fondateurs de Tipeee « assument » d’héberger des contenus antisémites ou complotistes, Numérama, 3 septembre 2021
[5] Ultradroite : derrière le Youtubeur toulousain « Papacito« , d‘autres influenceurs aux gros bras et aux idées radicales, StreetPress, 28 octobre 2020
[6] Bilan 2019 des actes antireligieux, antisémites, racistes et xénophobes, DILCRAH, 28 janvier 2020
[7] Moix regrette ses dessins « ratés » et antisémites de jeunesse, Le Parisien, 26 août 2019
[8] Christine Boutin relaye un article antisémite sur Twitter, Le Parisien, 30 juin 2015
[9] Civitas, de l’intégrisme chrétien à l’opposition au passe sanitaire, Le Monde, 18 août 2021
[10] Il y a 25 ans, les accords d‘Oslo entre Israéliens et Palestiniens, Le Point (AFP), 11 septembre 2018
[11] Israël–Palestine : faire prévaloir le droit international, pour une reconnaissance de l’État palestinien, Communiqué de presse EELV, signé par Julien Bayou et Sandra Régol, 26 janvier 2017
[12] L’inquiétante arrière-boutique idéologique de Kokopelli, Conspiracy Watch, 27 juin 2019
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