Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 4 et 5 décembre 2021

Exposé des motifs

En France, les transports participent à hauteur de 31 % aux émissions de CO2. La voiture est le mode de déplacement privilégié. 57 % des trajets domicile – travail/études sont effectués exclusivement en voiture ou en deux roues motorisés. En prenant en compte l’ensemble des déplacements, 65 % sont effectués en voiture et 83 % des distances parcourues, avec un taux d’occupation moyen de 1,3 personnes / voiture. Si les grands centres urbains ont des alternatives efficaces et accessibles pour organiser la mobilité, fort est de constater que les zones rurales sont rarement couvertes par des solutions de mobilités autre que la voiture. A ce titre, les indicateurs montrent de très fortes inégalités et disparités de services de mobilités selon la densité du tissu urbain. Enfin, le parc automobile en France est constitué de 38,4 millions de véhicules en circulation.

La mobilité électrique se développe à un rythme extrêmement rapide et cette croissance ne peut que s’amplifier, parce qu’elle correspond à la stratégie choisie par les pouvoirs publics en France, en Europe et dans le monde pour décarboner la mobilité. En France, notre programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe comme objectif un parc de 4,8 millions de véhicules électriques (y compris 1,8 millions de véhicules hybrides rechargeables) en 2028. Pour atteindre ces objectifs, la puissance publique mobilise des moyens très importants par le biais de la prime à la conversion, le bonus écologique, des aides locales mises en place par les collectivités au bénéfice des personnes résidant dans une ZFE, microcrédit, soutien à l’installation de bornes électriques etc. 

Par ailleurs, la Loi d’orientation des Mobilités (LOM) fixe à 2040 la fin de la commercialisation des véhicules thermiques. Dans le cadre de ses objectifs climatiques révisés, la Commission Européenne a quant à elle proposé en juillet dernier un objectif commun dès 2035.

Surtout, le développement de la mobilité électrique correspond d’ores et déjà à une réalité industrielle. En France, 194 730 véhicules électriques et hybrides rechargeables ont été immatriculés en 2020 (9,5% des véhicules immatriculés sur l’année), soit près de trois fois plus qu’en 2019 et l’industrie automobile investit des moyens croissants dans cette technologie. Plusieurs constructeurs ont d’ores et déjà annoncé la fin de production autour de 2030 de véhicules thermiques sur leur chaîne de production. On estime que 30% des recherches de Recherche & Développement dans l’automobile sont aujourd’hui captées par la technologie électrique, ce qui rejaillit sur l’offre : de 330 modèles rechargeables (100 % électriques et hybrides rechargeables) en 2020, l’offre pourrait passer à 535 modèles en 2023.

La massification du marché électrique est donc bel et bien en cours. Cette motion vise à fixer le cadre de ce que pourrait être une vision écologique du véhicule électrique, véritablement au service du climat, de l’emploi, de l’environnement et de la justice sociale.

De manière très claire, l’objectif principal d’une politique écologiste des transports est de réduire l’usage et la dépendance à la voiture individuelle partout où cela est possible. Au-delà de la question centrale des émissions de gaz à effet de serre, la voiture a des effets négatifs et systémiques, contre lesquels nous voulons lutter : inefficacité et congestion, pollution de l’air, de l’eau, pollution sonore, occupation de l’espace public au détriment d’autres usages, sédentarité, sécurité routière, étalement urbain, artificialisation des sols, désertification des centres-villes, coût pour les ménages et pour la société…

Le véhicule électrique n’est pas une solution à tous ces effets négatifs et ce d’autant plus si l’on prend en compte l’impact sur les ressources primairesNotre objectif principal est donc d’assurer un report vers les modes actifs, les transports collectifs et partagés, et de développer la multimodalité mais également d’avoir une réflexion pour réduire les distances contraintes. Cela doit passer par une approche globale de la mobilité, qui prenne en compte le transport mais plus largement les déterminants de la demande de déplacement : urbanisme, politiques urbaines et foncières, attention renforcée envers la flambée des prix immobiliers qui alimente la périurbanisation, politique énergétique, mais aussi la construction sociale et culturelle du mode de vie. Une politique écologiste des transports est nécessairement systémique.

Pour autant, la transformation de la société s’engage sur le temps long quand les problématiques de déplacement sont une réalité quotidienne pour une part non négligeable de la population et particulièrement pour les personnes en situation de handicap. Celles-ci consistent en des difficultés de se passer complètement de la voiture personnelle en dehors des zones urbainesdu moins à moyen terme. En raison de la construction même de l’espace dont nous héritons, modelé par et pour l’automobile, elle est encore difficilement contournable en dehors des zones agglomérées. 

Voilà pourquoi, tout en souhaitant réduire la place de la voiture, il est aussi nécessaire d’accompagner la transition vers une automobilité moins polluante. Le véhicule électrique peut être un des moyens de cette transition au même titre que d’autres technologies. Par ailleurs, l’essor du véhicule électrique ne doit pas être utilisé comme un prétexte à l’accroissement du parc nucléaire français

Motion

Vu le rapport d’information annexé,

Le Conseil fédéral des 4 et 5 décembre 2021

1. Afin d’assurer la soutenabilité de la production des véhicules et des batteries sur l’ensemble de la chaîne de valeur et de favoriser l’efficience des véhicules électriques

● Réaffirme la volonté des écologistes de réduire partout où cela est possible les territoires de l’automobile pour promouvoir un mode de vie de la proximité et de la convivialité, limiter notre dépendance à la voiture pour l’accès aux biens, services et infrastructures essentiels et favoriser les modes actifs ainsi que les transports en commun. De fait, c’est une diminution du nombre de véhicules qu’il faut viser. 

● Reconnaît toutefois que l’automobile est aujourd’hui dominante dans de nombreux territoires, car elle a entièrement modelé les espaces de vie. C’est en particulier le cas des zones péri-urbaines. Dans ces espaces, et dans l’espace rural, le véhicule électrique peut être une solution de moindre mal pour réduire l’empreinte écologique et sanitaire des déplacements à court et moyen terme.

● Affirme que le véhicule électrique constitue un progrès par rapport à des véhicules thermiques roulant aux carburants fossiles de même catégorie sur le plan des émissions de gaz à effet de serre et des polluants locaux sur la durée de vie des véhicules, a fortiori dans un mix électrique de plus en plus décarboné et à base d’énergies renouvelables.

●  Insiste néanmoins sur la nécessité urgente de réduire les pollutions et émissions durant la phase de production, ainsi que sur l’importance d’assurer l’exemplarité de l’ensemble de la chaîne de valeur sur le plan des droits humains et sociauxDe plus, afin de limiter au maximum les impacts de l’extractivisme, ces ressources doivent être gérées comme des biens communs, ce qui implique la consultation des populations avant tout exploitation et le respect des droits des peuples autochtones.

● rappelle également que nous devons porter les réglementations les plus strictes pour réduire ces impacts négatifs. Une piste envisagée est le soutien aux technologies de batteries sans cobalt, déjà disponibles. Par ailleurs, les écologistes devront peser sur le renforcement de la réglementation sur les batteries qui impose à terme la traçabilité, l’intégration de produits recyclés et l’interdiction des batteries trop polluantes. Ce modèle de réglementation pourra servir de base à d’autres politiques anti-dumping social et environnemental.

En l’état le cobalt est un matériau particulièrement problématique, de ce fait nous soutenons à ce stade l’émergence d’une filière industrielle sans cobalt (batterie LFP). Dès maintenant, il est également nécessaire de développer une filière équitable, permettant aux ouvriers et ouvrières de l’extraction du cobalt (entre autre) de vivre et de travailler dans des conditions socialement acceptables

● Demande à ce propos, que les calculs d’émissions en France et en Europe soient systématiquement effectués sur l’ensemble du cycle de vie et non « du réservoir à la roue », comme c’est le cas actuellement, ce qui revient à dévaloriser artificiellement des chemins de transitions jouant davantage sur des leviers comportementaux, comme la modération du trafic, la limitation de l’étalement urbain, et surtout le développement des modes actifs partout où cela est possible. 

● Réclame une réglementation ambitieuse et des incitations fortes en termes de poids, de taille et d’efficience capables d’orienter les acheteurs vers des véhicules électriques légers, peu consommateurs et laissant toute leur place aux autres usages de l’espace public. Ce cadre légal devra encourager toutes les formes de mutualisation possibles des véhicules (taxis, covoiturage, autopartage…), afin de sortir de la situation actuelle, particulièrement sous optimisée puisqu’une voiture reste immobile en moyenne 95% de son temps.

● soutient le principe d’un nouveau règlement européen sur les batteries – la directive en en vigueur datant de 2006 –  et appelle à des améliorations sensibles par rapport au projet actuel de la Commission Européenne, tant sur le calendrier que sur les objectifs de recyclage des matériaux rares contenus dans les batteries, afin d’améliorer la qualité environnementale de celles-ci.

● appelle au vote d’un règlement européen sur la consommation des véhicules électriques, définie en kWh au km, pour soutenir l’enjeu de sobriété qui nécessite des véhicules électriques peu consommateurs d’électricité et à la mise en œuvre d’une taxe européenne sur les batteries des véhicules électriques, définie en fonction des déchets et matériaux non recyclés sur le modèle de la taxe européenne sur le plastique et de l’empreinte carbone des batteries

2. Afin de faire du véhicule électrique 
une brique de la transition énergétique

● Prend acte de la nécessité d’assurer un pilotage de la charge. Il importe d’empêcher les situations dans lesquelles un nombre trop  important de véhicules se rechargent en même temps afin de limiter le besoin en facteurs de production additionnels, potentiellement carbonés. Pour cela, il faut d’abord maximiser les points de charge en particulier en dehors du domicile. Une politique d’équipement des grands attracteurs de trafic et des lieux de travail apparaît dès lors incontournable. Par ailleurs, le pilotage de la charge contribue à limiter le besoin de nouvelles unités de production, en particulier nucléaires.

● Se prononce en faveur d’un développement des services réseaux (flexibilité et stockage, Vehicule to Grid), même s’il est pour l’instant difficile d’en appréhender avec précision le développement. Ces services peuvent constituer un appoint non négligeable, à fortiori à mesure que la part des énergies renouvelables dans le mix électrique de notre pays progresse. Le V to G (Vehicule to Grid), c’est-à-dire l’injection d’électricité dans le réseau, apparaît comme une option particulièrement intéressante. Des réformes de la fiscalité de l’énergie seront nécessaires pour promouvoir davantage ces usages. 

● Se prononce en faveur d’un abaissement de la vitesse sur autoroute de 130 à 110 km/h pour favoriser la sobriété et la baisse des consommations d’énergie comme préconisé par la convention citoyenne pour le climat. Cette baisse de la vitesse entraîne selon NégaWatt une consommation de carburant réduite de 25%, une facture de carburant réduite de 7% en moyenne (tous déplacements confondus) et un allongement du temps de parcours de 8 minutes pour 100 km parcourus.

● Encourage le couple autoproduction (notamment le solaire) et mobilité électrique pour la décarbonation du système électrique et l’accélération de l’intégration des renouvelables. Cette évolution est également une source d’économie pour les ménages car elle permet de réduire les factures énergétiques.

3. Afin de favoriser le report modal sur la longue distance

● Se prononce en faveur d’un modèle de développement qui réduit le besoin en déplacements grandes distances, notamment à travers la promotion d’une production alimentaire et d’un tourisme de proximité. La fin du modèle agro-industriel est indispensable à la transition écologique des transports. Le modèle des grandes stations balnéaires et de montagne, éloignées de leur arrière-pays, détachées des réalités humaines des territoires qui les entourent et génératrices de très nombreux déplacements carbonés est déjà dépassé. A nous de promouvoir un tourisme plus frugal, plus respectueux des humains, du vivant et des lieux. Cela peut passer par exemple par une redirection des financements publics vers de nouveaux lieux touristiques et de nouvelles formes d’évasion. 

● Soutient le développement de l’offre ferroviaire pour maximiser le report modal sur les grands axes de transport longue distance. Parce qu’il ne nécessite pas de nouvelles infrastructures tout en faisant gagner du temps éveillé, le développement des trains de nuit apparaît particulièrement indiqué. Le corollaire du développement du ferroviaire sur les longues distances (en France et en Europe) devrait être l’essor des services de mobilité à destination. On pourrait donc ainsi passer de voyages longues distances effectués massivement au moyen d’automobiles particulières vers des trajets plus hybrides mêlant autopartage, covoiturage, location à destination et transports collectifs pour les trajets les plus longs.

● Au niveau local, nous soutenons la priorité donnée aux modes de déplacements actifs : piétons, vélos. Cela signifie notamment le soutien, en ville et à la campagne, à des équipements de proximité (services publics, commerces, loisirs…), le réaménagement des voiries au profit de ces modes de mobilité Nous soutenons fortement le développement des transports en commun ainsi que le développement dans les zones périphériques et rurales de l’autopartage et du covoiturage, et l’obligation des plans de déplacement pour toutes entreprises et administrations. 

4. Afin de décider d’un modèle de régulation pour la recharge publique

● Affirme le besoin de sortir d’un modèle où les pouvoirs publics assurent tous les risques tandis que les acteurs privés récoltent les bénéfices. Les investisseurs privés doivent assumer un juste niveau de risque dans l’investissement nécessaire en points de charge. Il convient également d’aller vers l’interopérabilité des bornes à travers un standard européen afin que tous les types de véhicules puissent se recharger sur tous les réseaux de bornes.

● Se prononce en défaveur de réseaux de charge gratuits. D’une manière générale, il nous apparaît que la mobilité électrique connaît aujourd’hui un engouement suffisant pour pouvoir systématiquement mettre en œuvre une recharge payante, y compris lorsqu’elle est proposée par des acteurs publics comme les EPCI ou les AODE. Il n’y a pas de raison pour qu’un utilisateur de véhicule électrique bénéficie d’un carburant gratuit d’autant plus que l’utilisation des voitures électriques est nettement moins onéreuse que leurs équivalents thermiques.

● Souhaite une forme de péréquation entre les types de réseaux. En effet, un risque pressenti aujourd’hui est celui de réseaux à double vitesse : des réseaux puissants et une charge rapide pour ceux qui peuvent se le permettre, un réseau de plus médiocre qualité pour les autres. Il y a lieu de mettre en œuvre un cadre assurant une forme de péréquation entre les usages très rentables et les usages les moins rentables comme par exemple dans les zones peu denses ou plus défavorisées. A l’inverse, une telle péréquation permettrait de désinciter les recharges de très forte puissance, qui correspondent à des usages peu vertueux pour le réseau électrique. Cette péréquation pourrait être menée de diverses manières : via des obligations de service public, via la taxation, ou via encore la création d’un fonds de péréquation.

● souhaite renforcer la coopération transfrontalière européenne pour que les frontières ne constituent plus un frein à la mobilité peu émettrice de CO2. A ce titre, il nous faudra disposer d’un réseau de recharge transfrontalier afin de connaître la localisation, la disponibilité et le prix de recharge électrique au-delà des frontières et favoriser l’essor de la voiture électrique en libre-service au sein d’espaces de coopération transfrontalière entre régions européennes.

5. Soutien public à l’achat

● Souhaite une extinction des subventions à l’achat (sauf pour les ménages les plus modestes), dès que la baisse du coût des batteries sera suffisante pour alimenter seule l’essor des ventes. Notre position est que la puissance publique ne peut pas soutenir indéfiniment la demande. Celle-ci pourrait notamment expérimenter le partage de son parc de véhicules électriques auprès des publics défavorisés ou passer par à une aide à la location ou à l’autopartage. 

● Se prononce en faveur d’une diminution sur les prochaines années et de la suppression totale des avantages fiscaux accordés aux véhicules thermiques et hybrides rechargeables pour les sociétés à partir de 2026Cette mesure est de nature à stimuler le marché de l’occasion, ce qui est la condition pour un essor de l’électrique pour l’ensemble des ménages.

6. Politique industrielle

● Soutient une production des batteries en Europe, et en France qui constitue une opportunité à saisir pour réindustrialiser nos territoires et produire des emplois utiles, qualifiés, stables. Avec des années de retard sur les acteurs asiatiques, l’Europe dans son ensemble et les acteurs français en particulier ont pris conscience de la nécessité de produire des batteries sur leurs territoires. Notre position est de soutenir ces efforts par la réglementation, par un effort financier des acteurs publics, par la recherche et par des aides additionnelles visant le « made in Europe » concernant également les matériaux et les approvisionnements. 

● Réaffirme son intérêt pour le développement rapide d’une filière industrielle du rétrofit afin de transformer des véhicules thermiques actuellement circulant sur les routes en véhicules électriques. Cette politique participe à faire émerger une économie circulaire et plus de sobriété dans l’usage des matières premières.

● Soutient une politique volontariste de recherche scientifique et industrielle sur les batteries sans cobalt, les batteries “tout solide” et une filière industrielle européenne du recyclage. 

● Affirme le besoin d’accompagner et d’amplifier la transformation massive de l’industrie automobile déjà engagée, en particulier en veillant à protéger les salariés des effets collatéraux de ces nécessaires changements structurels, à travers la création d’un fonds social pour la transition des emplois et pour le climat. Il sera également nécessaire de conduire des études publiques de modélisation macro-économique territorialisées, condition pour un pilotage ajusté de la transition. Ce fonds sera utilisable tant sur le versant soutien social que prospectif (préparation des formations nouvelles ou de reconversion). 

Unanimité moins 6 contre et 10 blancs



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