Exposé des motifs

A la suite des plaintes pour agressions sexuelles et viols contre le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein des centaines de milliers de femmes, de toutes origines et de tout pays, ont témoigné en ligne dans le monde entier, grâce aux hashtags #MeToo (moi aussi) et #balancetonporc, des agressions dont elles ont été victimes. Le mouvement continue à s’amplifier.

Ces témoignages démontrent à quel point les pratiques et les conditionnements sociaux ont jusqu’ici réduit les femmes au silence ou empêché qu’elles soient entendues, laissant les prédateurs libres. Pour autant, ce qu’il se passe montre aussi que le temps est venu de dénoncer l’insupportable en refusant le silence, en ayant le courage de faire bouger les lignes dans nos sociétés patriarcales. De même, ces témoignages illustrent la difficulté de parler, de porter plainte et d’être entendue lorsque l’on est victime de violences sexistes et sexuelles en France. Mise en doute de la parole, dénigrement ou (cyber-) harcèlement en retour, sont, hélas, le lot commun des victimes qui peuvent être sous emprise de leurs agresseurs, et même poursuivies par eux !

Ces témoignages ont aussi mis en lumière la défaillance des politiques publiques et ce, à toutes les étapes de la procédure judiciaire. Lorsque vous n’êtes pas crues, soutenues par votre propre entourage ni accompagnées par les professionnel.le.s, il est très difficile d’aller en justice, et pour celles qui y arrivent, c’est encore un parcours de la combattante.

Plusieurs chiffres illustrent cette triste réalité :

Seule une victime de viol ou de tentative de viol sur dix porte plainte et moins d’une plainte sur dix aboutit. La «correctionnalisation» du viol (déqualification de ce crime en agression sexuelle donc en simple délit) demeure une pratique extrêmement répandue. D’après une étude menée sur la juridiction de Lille, 85 % des déclarations détaillées de faits de viol comptabilisées aboutissaient à un classement sans suite, 10 % à un procès correctionnel et 5 % à un procès d’assises. Elle va dans le même sens que les données nationales : 31 825 faits de violences sexuelles ont été recensés par les forces de sécurité entre novembre 2014 et octobre 2015. Les viols représentent 38 % des faits de violences sexuelles constatés par les forces de sécurité. Il y a un fossé avec cet autre chiffre : 1075 personnes ont été condamnées pour viol en 2014.

La même année, 4 534 appels ont été reçu sur la ligne d’écoute nationale Viols Femmes Informations pour viols et autres agressions sexuelles, et 594 pour des demandes d’information.

14% des femmes victimes de violences conjugales physiques et/ou sexuelles déclarent avoir porté plainte, 8% avoir déposé une main courante. L’ordonnance de protection et de la règle de l’éloignement du conjoint violent restent peu appliquées : 1303 ordonnances de protection ont été prononcées en 2014. Cela, alors que chaque année, 216 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire intime (mari, concubin, pacsé, petit-ami…).

Par ailleurs, selon les chiffres de la Police nationale, sur les 150.000 fonctionnaires sur l’ensemble du territoire français, seuls 1 281 policier.es sont spécifiquement formé.es pour accompagner les victimes de violences ou de maltraitances que ce soit  dans le domaine infra familial ou le cadre de vie professionnel et habituel.

Enfin, en matière d’harcèlement sexuel, d’après l’étude du Défenseur des droits en 2014, 70 % des cas d’harcèlement sexuel au travail ne sont pas transmis à la connaissance de l’employeur. 45% des femmes ayant dénoncé leur harceleur estiment que cela a eu des conséquences négatives pour elles et seules 5% des situations décrites comme harcèlement ont donné lieu à un procès.

Par ailleurs, les femmes étrangères victimes de violence rencontrent toujours de grandes difficultés dans leur prise en charge administrative, juridique et sociale, leur accès au droit et notamment leur droit au séjour en France. La crainte d’être interpellée pour séjour irrégulier en France a pour conséquence que de nombreuses femmes victimes de violences ne portent pas plainte. Cette pratique est pourtant une atteinte du droit au dépôt de plainte et a été sanctionnée à plusieurs reprises. 

La Secrétaire d’Etat à l’égalité, Marlène Schiappa, a annoncé le 16 octobre dernier qu’un nouveau projet de loi sur les violences sexuelles et le harcèlement de rue serait mis en débat au Parlement début 2018. Le Président de la République a repris ces propositions, et a indiqué que les trois principaux axes de ce projet viseraient à :

  • fixer un âge en deçà duquel la qualification d’atteinte sexuelle (passible de 5 ans d’emprisonnement) est écartée au profit de celle de viol (20 ans de réclusion quand la victime est mineure) ;
  • sanctionner le harcèlement de rue par la création d’un délit d’outrage sexiste ;
  • allonger à 30 ans la prescription des crimes sexuels commis sur personnes mineures de moins de 15 ans. 

Europe Écologie les Verts se bat depuis de nombreuses années afin que l’action publique prenne la mesure de ce fléau. Une action publique d’envergure doit être engagée pour changer la donne, assortie de budgets conséquents et pérennes afin de prévenir, former, soutenir et accompagner.

Motion

Europe Ecologie Les Verts demande que des moyens conséquents soient affectés à la lutte effective contre les violences faites aux femmes et au bon fonctionnement de la justice. A défaut, tout renforcement de l’arsenal législatif restera un vœu pieu et les violences ne cesseront pas. Combattre le harcèlement implique de s’attaquer véritablement et simultanément à tous les ressorts qui construisent les violences contre les femmes et ce, dès le plus jeune âge, lutter contre les stéréotypes de genre.ïI

I – Sur les trois axes du projet de loi tel qu’il est annoncé : 

  1. Sur la criminalisation de l’atteinte sexuelle sous un certain âge

Actuellement la loi prévoit que toute relation sexuelle entre un majeur avec un enfant de moins de 15 ans constitue un délit passible de 5 ans de prison (qui est aggravé quand le majeur a un lien d’autorité avec l’enfant). Pour que les faits puissent être passibles d’une peine criminelle et considéré comme un viol, il est nécessaire d’établir que l’enfant a subi une contrainte, menace, violence ou surprise. Le code pénal prévoit que la « contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits ». Toutefois, et les affaires de Pontoise et Melun l’ont montré, la loi est insuffisante dans un certain nombre de cas, qui doivent pourtant relever des assises et non d’un tribunal correctionnel.

Comme l’a préconisé le HCE, Europe Écologie Les Verts soutient la démarche permettant de fixer un âge sous lequel l’atteinte sexuel serait criminalisée. La loi doit changer pour qu’en deçà d’un certain âge, qui reste à définir avec les spécialistes de l’enfance, l’acte sexuel commis sur un enfant soit criminalisé et non plus considéré comme un délit.

  1. Sur le harcèlement de rue et la création d’un délit d’outrage sexiste

Le harcèlement de rue peut avoir un impact désastreux sur le quotidien les personnes qui en sont victimes, en particulier les femmes et les LGBTQ, les contraignant à modifier leur tenue, leur itinéraire, leurs horaires.

Mais, il est dommage que ce débat arrive comme une réponse, à une vague préoccupante   

d’agressions sexuelles graves. Les hommes impliqués n’ont pas agressé ces femmes dans la rue, mais dans les couloirs de lieux de prestige ou de pouvoir. Cette focalisation sur le harcèlement de rue, est limitative, masquant le fait que la très grande majorité du harcèlement et des violences sexuelles ont lieu au domicile ou sur le lieu de travail, et que les agresseurs sont connus des victimes.

Europe Écologie Les Verts regrette que les modalités de verbalisation envisagées pour lutter contre le harcèlement de rue soient plus cosmétiques qu’efficaces et qu’elles ne prennent pas en compte une potentielle discrimination au faciès, à l’allure, au vêtement,  dans le traitement des verbalisations. De nombreux comportements relevant de l’outrage sexiste sont déjà pénalisés, et la création d’un nouveau délit flou ne pourrait répondre au problème : l’expérience belge où le harcèlement sexiste a été pénalisé en 2014 est à ce titre décevant. Le nombre de plainte est bas et en baisse (42 plaintes au 1er trimestre 2016, 14 au 1er trimestre 2017).

Il faut lutter avec des mesures efficaces. Cela implique de former les agent.e.s de police et de gendarmerie, , de mettre en place un système de retour sur expérience suite à un dépôt de plainte, et d’être vigilant.e quant aux comportements policier.e.s Cela implique en parallèle de repenser l’espace public par et pour les filles et les femmes.

  1. Sur l’allongement de la prescription

La prescription est un principe ancien du droit pénal français, qui prévoit qu’au bout d’un certain temps, les faits commis ne peuvent relever d’une infraction, principalement pour trois raisons :

  • le fait que le trouble à l’ordre social causé par une infraction s’estompe avec le temps ;
  • le dépérissement des preuves ;
  • la difficulté pour la justice de trouver un sens plusieurs décennies après les faits ;

Toutefois, le caractère insupportable de l’injustice causée par la prescription de certains crimes a obligé le législateur à évoluer. En matière d’agressions sexuelles, l’emprise qu’un agresseur peut exercer sur sa victime, le sentiment de honte que celle-ci peut ressentir ou le déni sont des freins majeurs au dépôt de plainte. En conséquence, pour les crimes sexuels sur mineurs la prescription est passée à 20 ans à compter de la majorité (soit 38 ans pour la victime), et l’an dernier les délais ont été doublés : la prescription est passée de 3 à 6 ans pour les délits, de 10 à 20 ans pour les crimes.

Commis sur des enfants, le plus souvent par des proches, les viols et agressions sexuelles mettent les victimes en état de sidération et de fragilité psychologique. Les souvenirs se réveillent parfois trop tard pour porter plainte. Nombreux sont les obstacles à la libération de la parole de l’enfant victime. Quel que soit leur âge, l’impact des psycho traumatismes liés aux violences sexuelles est considérable sur la santé des victimes : santé physique, santé mentale, santé sociale et sexuelle.

La Secrétaire d’Etat propose un allongement de la prescription pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs, qui passerait à 30 ans après la majorité (soit 48 ans).

Parce qu’il est nécessaire de prendre en compte l’impact des traumatismes, et qu’une enquête sur des faits anciens peut révéler plusieurs victimes d’un prédateur sexuel, Europe Écologie Les Verts soutient la démarche visant à rallonger à 30 ans la prescription des crimes sexuels commis sur personnes mineures de moins de 15 ans.  Toutefois, Europe Ecologie les Verts note les difficultés évidentes que la justice et la police auront à traiter des affaires révélées si longtemps après les faits. Plus la plainte est tardive plus l’établissement des faits par la justice et la possibilité de se défendre pour la personne mise en cause sont complexes. C’est pourquoi le sujet central est celui de l’accompagnement des victimes au dépôt de plainte et de son traitement.

Ce projet de loi ne répond ni à la question des obstacles au dépôt de plainte, ni au scandale du mauvais traitement judiciaire des plaintes déposées : accroître la part des victimes qui portent plainte et réduire le nombre de classements sans suite doivent être une priorité pour les pouvoirs publics.

II – Pour une véritable action publique, Europe Écologie Les Verts demande un plan global et une priorité nationale dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qui entérinera une réponse à la hauteur de l’enjeu :

  1. Prévention des violences et construction d’une société qui ne les tolère plus :

Les violences sexistes et sexuelles sont l’un des piliers par lesquels la domination masculine se perpétue. Lutter contre les violences sexistes et sexuelles, c’est s’attaquer au patriarcat. Cela passe par des actions à tous les niveaux, comme :

– Campagnes nationales bi-annuelles à la télévision à l’instar des campagnes de la sécurité routière

– Education à la sexualité et à l’égalité femmes-hommes ;

– Octroi de moyens supplémentaires à l’éducation nationale pour la mise en place des ABCD de l’égalité dès la maternelle ;

– Formation initiale et continue obligatoire (des élu.es, des services sociaux, de la police et gendarmerie, de la justice, des équipes éducatives, psychologues et du personnel médical) ;

– Accroissement des moyens pour les associations d’éducation populaire qui œuvrent à l’égalité entre les femmes et les hommes.

– Renforcer la mixité des corps de Police et de Gendarmerie

– Ainsi que de nombreuses actions dans l’ensemble de la société, telles que la fin des inégalités salariales, une lutte vigoureuse contre les discriminations, l’annulation de la règle grammaticale du masculin qui l’emporte sur le féminin au profit de la règle de proximité, etc ;

  1. Amélioration de l’accompagnement et écoute des victimes à chaque étape :

– Multiplication des hébergements d’urgence et logements dédiés, accès prioritaire aux logements sociaux, garantie du choix pour les victimes de pouvoir rester chez elles et en sécurité), amélioration de la mise en œuvre de l’ordonnance de protection, garantie du droit au séjour pour les femmes migrantes etc.

– Développement du dispositif Téléphone Grave Danger (Tgd) et mise en place d’une application grand public pour mieux informer et protéger les femmes menacées dans un contexte de séparation ou de rupture.

– Mise en place d’instances de suivi et d’évaluation des mesures d’accompagnement des femmes victimes de violences, regroupant les élu.es, les services sociaux, police et gendarmerie, justice, équipes éducatives, psychologues et personnels médicaux et associations ad-hoc.

–  Mise en place de lieux d’accueil dédiés pour les victimes de violences au sein des commissariats pour recueillir les plaintes et qu’il leur soit proposé de faire venir sur un lieu sécurisé le cas échéant un.e médecin. L’annonce de dix unités pilotes spécialisées dans la prise en charge globale du psycho-trauma est une mesure fondamentale du plan présidentiel. Elle devra être financée et rapidement mise en place. La Cellule d’accueil d’urgences des victimes d’agressions de Bordeaux, a été lancée il y a prêt de vingt ans, et doit enfin connaître une généralisation.

– Formation des différents intervenant.es de la chaîne judiciaire.

– Mise en place d’un accès direct et en urgence des victimes aux unités médico-judiciaires, avant même tout dépôt de plainte

– Mise en relation avec une association dès le dépôt d’une plainte ou d’une main courante au commissariat et garantie de la possibilité pour chaque victime de viol d’être accompagnée par une association spécialisée dans l’aide aux victimes, qu’elle ait ou non porté plainte, jusqu’à la fin de la procédure judiciaire.

– Renforcement considérable des moyens pour les associations, qui sont de véritables liens entre la solitude et la plainte, pour leur permettre d’accueillir et accompagner dignement les victimes.

– Prise en charge à 100% de tous les soins pour les victimes de violences, notamment les soins psycho-traumatiques, avec mise en place d’une prise en charge rapide.

– Dépénalisation du séjour irrégulier, accès des femmes étrangères aux centres d’hébergement dédiés aux femmes victimes de violences, à l’aide juridictionnelle et respect du droit au dépôt de plainte.

  1. Des moyens pour que la justice puisse traiter les délinquances sexuelles et sexistes

– Etablissement de protocoles clairs pour l’accueil des plaintes, en fonction du type d’infraction (harcèlement, viol, inceste) et de victime (enfants, conjointes)

– Un état des lieux précis de la justice en matière de délinquance sexuelle et sexiste, pour étudier les causes des blocages actuels, à l’aide d’une grande enquête

– Spécialisation de la justice en matière d’infractions sexuelles et de violences faites aux femmes

– Renforcement important des moyens de la justice pour améliorer le traitement des affaires pénales et l’application des peines des personnes condamnées

– Fin de la pratique, actuellement massive, de correctionnalisation des viols.

– Amélioration de la prise en charge des personnes condamnées afin de permettre la réinsertion, notamment la multiplication des établissements pour les hommes violents.

– Reconnaissance du féminicide

Ces propositions doivent être intégrées dans le plan présenté par le Président de la République.

Mais au-delà, parce que tout ceci nécessite de l’action de terrain, un budget fortement accru est absolument nécessaire, en particulier pour permettre aux associations et à la justice d’agir. Après la baisse drastique du budget des droits des femmes en 2017, l’augmentation ridicule du budget prévue pour 2018, Europe Écologie Les Verts demande une augmentation sensible des budgets alloués à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et au traitement judiciaire des agressions et crimes, ainsi que le déblocage d’urgence d’une enveloppe pour aider les associations et l’ensemble des structures concernées, qui sont saturées depuis le mois d’octobre.

Unanimité moins un Blanc 

Télécharger la motion : 

thumbnail of motion-E-plan-contre-violences-sexistes-sexuelles-CF-2017120203
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