Exposé des motifs

L’agression militaire de grande échelle apportée par la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine en février 2022 a entraîné de nombreux changements dans la politique de défense de l’Europe. Face à cette situation inédite, des décisions qui apparaissaient comme impossibles il y a quelques mois ont été prises en quelques semaines : augmentation des budgets militaires nationaux, envoi par l’Union européenne (UE) d’armes et d’équipements militaires à un pays en guerre, adhésion de pays historiquement neutres à l’OTAN. Sur le long terme, il est aussi nécessaire de prendre en compte l’impact du dérèglement climatique sur la sécurité dans le monde (tensions sur les ressources en eau, en terre s agricoles ou en matières premières). Ce nouveau contexte invite chaque force politique à s’interroger sur sa vision de la politique de défense européenne et des moyens pour rétablir la paix en Europe. 

Le contexte géopolitique actuel démontre que ce n’est qu’ensemble que les États membres de l’Union européenne auront le poids suffisant pour s’attaquer efficacement à des enjeux mondiaux complexes. Le renforcement de la diplomatie et de la défense européenne est nécessaire si nous voulons défendre dans le monde les droits fondamentaux, la démocratie et la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Doter l’UE de moyens diplomatiques et de défense en adéquation avec les enjeux géopolitiques

Les adversaires de l’UE comptent sur la division de ses États-membres et sur sa faiblesse en matière de défense, de sécurité et de poids diplomatique. Si l’UE a pour l’instant réussi à faire front uni en solidarité avec l’Ukraine, le risque est réel qu’elle se trouve rapidement en mal de moyens d’action. L’UE est dotée d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC), d’outils budgétaires comme le Fonds européen de défense et d’un document cadre (la Boussole Stratégique). Mais ces outils restent restreints et en inadéquation avec les enjeux géopolitiques contemporains et l’évolution des menaces (attaques cyber sur les infrastructures, guerre informationnelle, violations répétées des espaces aériens et maritimes, manœuvres d’interdiction dans les eaux internationales, menaces sur nos dispositifs exo-atmosphériques, menaces nucléaire). L’UE ne possédant pas d’armée européenne, elle est strictement dépendante des capacités civiles et militaires des États membres et le niveau d’ambition des missions de la PSDC a diminué au cours de la dernière décennie.

Pour le Fonds européen de la défense, son enveloppe budgétaire reste minime : 8 milliards d’euros pour la période 2021-2027 quand le Fonds européen agricole de garantie capte à lui seul 258,6 milliards d’euros pour la même période. De plus, son mode de fonctionnement reste inadéquat : face aux intérêts des États membres de préserver leurs industries nationales de défense, une approche plus régulatrice est nécessaire à l’intégration industrielle de ce secteur stratégique. Quant à la Boussole Stratégique, ce document n’est pas suffisant pour combler les écarts de stratégies et de visions entre les Etats membres en matière de sécurité et de défense communes. La nouvelle initiative de la Commission de 2022 pour accroitre l’approvisionnement conjoint est bienvenue et doit être renforcée, puisque les États membres de l’UE ont investi 13% moins en 2020 qu’en 2019 dans l’achat collaboratif d’équipements de défense, soit bien en deçà des 35 % auxquels ils s’étaient engagés.

Renforcer la diplomatie européenne 

L’Union européenne doit privilégier le règlement des différends internationaux par des moyens diplomatiques. Il est nécessaire de renforcer la diplomatie européenne pour être en capacité de peser sur la scène diplomatique internationale. Outre une augmentation du budget de la diplomatie européenne et l’augmentation des moyens humains, il est nécessaire de lever les blocages institutionnels. La règle de l’unanimité encore en vigueur au niveau européen ne peut plus exister. Elle donne de facto un pouvoir de véto à chacun des 27 Gouvernements européens pouvant empêcher le renouvellement des sanctions économiques contre la Russie. Pour que les décisions ne puissent plus être bloquées par un ou une poignée d’États membres, il faut mettre fin à la règle de l’unanimité et passer à la majorité qualifiée haute. Cette majorité renforcée correspond à 72% des États membres et 65% de la population. Par ailleurs, le rôle du Parlement européen devra être renforcé quant à la définition de la ligne diplomatique de l’Union européenne. Toute intervention extérieure au nom de l’Union européenne devra être soumise à l’aval du Parlement Européen.

Coordonner et mutualiser les dépenses de défense 

Les différences entre États membres sont particulièrement visibles au niveau des dépenses de défense. Les budgets militaires doivent être calculés en fonction de besoins réels et non plus sur la base d’un indicateur arbitraire comme le Produit Intérieur Brut (PIB) comme s’y sont engagés les membres de l’OTAN. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs États européens ont annoncé des augmentations de leurs budgets militaires sans véritable coordination. La Commission européenne – en concertation avec les États et l’Agence européenne de défense – peut devenir l’enceinte d’une harmonisation des dépenses d’armements, rationalisées et de la réduction de l’empreinte environnementale des armées européennes. La promotion d’une filière européenne de défense, la mutualisation de certains équipements, de supports logistiques, de programmes de recherche et développement, ou encore la prise en charge de certaines dépenses jugées comme d’intérêt commun par le budget européen, sont nécessaires pour rendre les dépenses de défense plus pertinentes et pour garantir que l’augmentation du budget de la défense ne se fasse pas au détriment d’autres politiques européennes ou nationales – notamment les politiques sociales. Aussi, un budget européen commun pour la défense doit être constitué pour mutualiser les dépenses des États membres afin d’éviter les doublons, réduire les risques, faire des économies et permettre à l’UE d’être un acteur à part entière.

Développer une politique européenne de défense complémentaire des organisations multilatérales

Le développement d’une défense européenne pose nécessairement la question de la relation à l’OTAN. Depuis la candidature de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, 23 États membres de l’UE sur 27 sont membres de l’OTAN ou candidats à l’être. De nombreux États d’Europe centrale et orientale considèrent l’OTAN comme leur seule assurance-vie viable face à l’expansionnisme russe et s’opposeront à une politique de défense européenne qui aurait pour but de remplacer l’OTAN. Au contraire, l’Irlande, l’Autriche, Chypre et Malte se déclarent encore neutres et s’opposeront à un alignement complet de l’UE sur l’OTAN. Il est nécessaire de prendre en compte ces différentes situations pour développer l’Europe de la défense. Tout en maintenant l’alliance avec l’OTAN, l’objectif des Européen·ne·s doit être de peser au sein du cadre atlantique et de réformer celui-ci afin de le rendre plus conforme aux intérêts européens.

Il s’agit pour la France et l’Europe de conserver un partenariat atlantique rééquilibré qui doit permettre de tendre vers une autonomie stratégique européenne. Il serait notamment nécessaire de détailler ce que signifie la clause d’assistance mutuelle en cas d’agression prévue par les Traités.

Cela doit notamment permettre d’anticiper les risques que feraient peser un changement de présidence des États-Unis sur la sécurité européenne. En parallèle, l’OSCE doit voir son rôle dans le maintien de la sécurité collective en Europe renforcé et voir son budget augmenté.

Penser la sécurité humaine et du vivant au cœur de la politique européenne de défense

Si l’Europe veut renouer avec son projet initial de paix, réduire l’instabilité et combattre les violations des droits humains, elle doit jouer un rôle central dans la prévention et la résolution des conflits présents et à venir. Avec la guerre en Ukraine, c’est l’ordre de sécurité européen qui est remis en cause mais cette guerre n’est pas la seule menace qui pèse sur l’UE. La crise climatique et l’effondrement de la biodiversité sont devenus des menaces majeures pour nos vies et le vivant en général, source de déstabilisation profonde pour nos Etats. L’usage de plus en plus large des technologies de l’information et de communications augmente également notre surface d’exposition aux cyberattaques. Pour ce faire, l’UE doit impulser une nouvelle politique commune de sécurité et de défense qui aborde clairement les nouvelles dimensions de la sécurité humaine et du vivant, comme la crise climatique. La sécurité humaine et du vivant doit être au cœur du projet de sécurité et de défense européennes.

Renouer avec un projet de paix en accord avec le droit international

La guerre en Ukraine doit remettre à l’agenda politique la question de l’investissement des Etats-Membres de l’UE et de ses citoyens dans leur sécurité collective à long terme. C’est la paix qui doit motiver cette mutation. Construire un projet de paix, c’est penser les interventions diplomatiques et les opérations d’assistances militaires dans le cadre du droit international et des décisions de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Construire un projet de paix, c’est aussi penser une politique européenne de développement à l’international en cohérence avec sa politique de défense. Les interventions extérieures des Etats-Membres doivent faire l’objet d’échanges et de discussions partagées sur ces objectifs précis, ces modalités militaires et l’accompagnement d’aide aux populations associées. La sécurité ne se pense pas uniquement en termes de défense militaire. Engager une opération militaire sans préparer la paix à long terme serait une erreur. Penser les discussions avec la société civile pour organiser la transition, penser les conditions d’un financement pérenne des services essentiels (santé, éducation, justice, alimentation) et les investissements de reconstruction apparaît indispensable.

L’Union européenne a su faire la preuve de sa capacité à mener des opérations militaires complexes sous mandat de l’ONU, comme par exemple la mission de lutte contre la piraterie près du Golfe d’Aden. Elle doit continuer à progresser et impulser une politique commune de défense à la hauteur des enjeux contemporains, qu’ils soient géostratégiques, militaires, humains ou climatiques. Pour cela, l’UE doit être pensée comme un acteur de la sécurité tant sur le plan régional qu’international. Les Européens doivent désormais assumer la sécurité et la défense comme un véritable pilier de l’UE. 

Motion

Réuni les 2 et 3 octobre 2022, le Conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts :

  • défend un renforcement de la diplomatie européenne pour faire prospérer l’Europe de la paix, notamment via une augmentation du budget de la diplomatie européenne, le passage de la règle de l’unanimité à celle la majorité qualifiée haute pour les décisions qui relèvent de la Politique étrangère et de sécurité commune et le renforcement du rôle du Parlement européen dans la définition de la ligne diplomatique de l’Union européenne ;
  • considère que les valeurs fondamentales de l’UE doivent être au cœur de la politique commune de sécurité commune et soutient la création d’un programme européen pour la démocratie, les libertés et les droits fondamentaux pour soutenir les organisations et les initiatives qui y contribuent en dehors de l’Union européenne et pour renforcer les liens diplomatiques et économiques de l’UE avec les pays exemplaires en la matière ;
  • soutient un renforcement de la prévention civile des conflits en améliorant les capacités de médiation et de réconciliation en lien étroit avec les ONG et autres organisations à but non lucratif en Europe et à l’étranger ainsi que dans le cadre de l’OSCE dont le budget doit être augmenté;
  • soutient la mise en œuvre et le respect des règles européennes pour l’exportation d’armes qui interdisent l’exportation d’armes vers des régimes non-démocratiques ou impliqués dans des violations des droits fondamentaux et des crimes de guerre, ainsi que leur renforcement en remplaçant la position commune sur les exportations d’armes par un texte juridiquement contraignant, assorti de sanctions en cas de non-respect et dont les obligations pourront faire l’objet de jugements de la CJUE
  • souhaite impulser de nouvelles initiatives européennes pour le désarmement nucléaire dans le monde et pour limiter de manière générale la course aux achats d’armes conventionnelles ;
  • refuse toute prolifération européenne des armes nucléaires françaises – tant en termes de financement européen qu’en termes de scénarii d’utilisation
  • n’exclut pas la possibilité d’engager une initiative de désarmement nucléaire au niveau français sans consensus européen sur le sujet et lorsque les conditions seront réunies.
  • souhaite privilégier une approche de la sécurité humaine en se concentrant sur les besoins de sécurité des populations locales, en mettant fin à l’impunité pour les crimes de guerre et exigeant une transparence des actions des forces armées par des contrôles ;
  • défend le développement une politique de solidarité claire dans le dans le contexte de la clause d’assistance mutuelle de l’article 42 du Traité sur l’UE, en cas d’une agression armée contre l’un de ses membres, complémentaire aux efforts de l’OTAN et ne portant pas atteinte aux spécificités des États membres de l’UE ;
  • défend un renforcement de l’Europe de la défense via un approfondissement de la coopération européenne en matière militaire, le développement de capacités militaires partagées dans l’UE et le soutien à la création d’un commandement militaire opérationnel européen ;
  • souhaite que soient surmontées les différences en matière de politiques de sécurité et de défense des différents États membres de l’UE et assurer l’interopérabilité pour agir de manière coordonnée, cohérente en Europe ;
  • souhaite que la France impulse une stratégie européenne pour la cybersécurité en créant une infrastructure numérique européenne résiliente pour les services de sécurité et des normes européennes pour l’exportation des technologies de cybersurveillance pour interdire le transfert de technologies vers des régimes liberticides et pour participer à la garantie des droits humains en Europe et dans le monde ;
  • défend une approche ambitieuse de la sécurité sur les questions climatiques en exigeant l’indépendance énergétique de l’UE pour améliorer notre sécurité commune et en pensant la politique de sécurité et de défense de l’UE pour le vivant ; L’Union européenne devra également favoriser et faciliter les recherches de stratégies de défense civile non violente et la constitution d’une défense civile non-violente. 

Pour : unanimité moins 1 blanc



Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 1er et 2 octobre 2022