Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 10 et 11 juillet 2021

Exposé des motifs

Santé humaine et santé du vivant, imbriquées l’une dans l’autre 

L’escalade de la pression humaine sur les écosystèmes a été qualifiée par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) de « plus grande menace mondiale pour la santé humaine au 21ème siècle ».

Le dépassement des limites planétaires[1] (changement climatique, acidification des océans, usage des sols et de l’eau douce, pollutions chimiques, etc.) a et aura des conséquences sanitaires graves : pandémies de maladies chroniques (cancers, maladies cardio-vasculaires, obésité, etc.), maladies infectieuses émergentes, dégradation de la santé mentale, baisse de la fertilité, etc. Au total, ce sont déjà près de 40% des décès dans le monde qui ont une origine environnementale, dont neuf millions par an dus à la pollution de l’air[2]. Le manque d’accès à l’eau douce et sa contamination pourraient devenir la première cause mondiale de décès d’ici 2050.

Cette interconnexion entre santé humaine et santé des écosystèmes fonctionne aussi dans le sens positif. Car les bénéfices sanitaires et sociaux induits par la biodiversité et les écosystèmes sont nombreux. L’influence positive des milieux naturels ou des espaces verts sur la santé physique et mentale est significative : réduction de la morbidité et de la mortalité cardio-vasculaire, de l’obésité et du risque de diabète de type 2, amélioration de la santé mentale, du bien-être et de la cohésion sociale, etc. 

A titre d’exemples, les arbres et les forêts réduisent l’exposition à la pollution de l’air, au bruit, à la chaleur et donc les dommages sur la santé humaine dans et autour des zones urbaines. L’exposition à la faune sauvage peut aussi apporter des bénéfices pour la santé : par exemple l’association entre la diversité d’espèces d’oiseaux en milieu urbain et le bien-être a été objectivée.

La santé, interface des sociétés humaines et des écosystèmes

Dérèglement bioclimatique et modèle économique et social sont liés et rétroagissent sur la santé humaine.

Notre modèle de croissance exponentielle, basé sur l’exploitation sans limites de la Terre est à l’origine du dérèglement climatique et environnemental global et de l’effondrement de la biodiversité. Il engendre également une crise des inégalités sociales[3], qui aggrave la dynamique de destruction de l’environnement : les individus les plus riches, qui consomment et voyagent le plus, sont à l’origine d’une fraction importante et disproportionnée des pollutions de la planète[4]

Non seulement la crise écologique, qui prend ses racines dans notre modèle socio-économique et les inégalités sociales qu’il produit, détériore la santé humaine mais l’impact sanitaire de cette crise accroît les inégalités sociales, aggravant à leur tour la crise écologique, en une boucle qui s’autoalimente.

Pour exemples, l’inégale répartition de la qualité de l’air en fonction du statut socio-économique : ainsi, habiter dans des appartements à faible loyer à côté du périphérique expose davantage aux particules fines et à leurs effets néfastes sur la santé qu’un logement en face d’un bois ou situé dans un quartier piéton.

Ou encore la Seine-Saint-Denis qui a payé un des plus lourds tributs à la pandémie de COVID19, cumulant les facteurs de risque économiques, sanitaires et environnementaux : proportion plus importante de personnes à la santé fragile (comorbidités pour partie d’origine environnementale), des métiers plus exposés à la transmission du virus et des familles plus nombreuses que la moyenne régionale confinées dans des logements plus exigus. 

Sortir d’une vision étroite de la santé centrée uniquement sur le médical et sur l’humain. 

Dans ce contexte de crises écologiques, sanitaires et des inégalités sociales, une nouvelle vision holistique de la santé émerge, qui s’appuie sur la compréhension des liens entre facteurs sanitaires, socio-économiques et environnementaux.

Une approche classique de santé anthropo-médico-centrée ne peut appréhender ce système complexe. Seuls des concepts novateurs et globaux de santé publique reliant les écosystèmes, les environnements et la santé dans le contexte de l’Anthropocène, notamment ceuxd’ « Une seule Santé » et de « Santé planétaire », ont la capacité d’intégrer ce continuum du vivant et son imbrication dans notre modèle socio-économique.

La notion d’ « Une seule santé » a pour stratégie de préserver le vivant pour améliorer la santé humaine. Elle est née de la volonté d’alliance des médecines humaine, vétérinaire et des sciences écologiques, et repose sur le concept d’interconnexion entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes. Son cadre peut permettre de comprendre et de prévenir non seulement l’émergence des épidémies infectieuses d’origine animale mais aussi l’ensemble des maladies environnementales

Selon cette approche, une politique de santé publique préventive nécessite des modifications radicales des décisions des pouvoirs publics pour préserver la qualité de l’eau, des sols, de l’air, de l’alimentation, de la biodiversité et du climat, revoir les méthodes d’élevage et de production alimentaire et renforcer notre préparation aux crises sociales et environnementales.

La « Santé Planétaire » est quant à elle une approche transdisciplinaire, fondée sur une vision globale de la santé humaine intégrant les dimensions physiques, psychologiques, sociales, et économiques de la santé, reliées aux limites planétaires. Comprenant l’interdépendance entre santé, environnement et modèles socio-économiques, elle abolit les barrières entre médecine, sciences de la nature et sciences économiques et sociales

L’approche de « Santé Planétaire » pose comme axes prioritaires l’amélioration de la santé humaine, l’équité et le respect de la biosphère. Si la crise écologique menace très dangereusement la santé humaine, la Santé Planétaire considère néanmoins ces bouleversements comme une opportunité de transformation radicale de nos organisations humaines et modes de vie, si ce n’est la plus grande, pour répondre à l’aspiration universelle d’améliorer le bien-être et la santé des humains et du vivant.

Cette approche systémique prône la transition vers un paradigme économique focalisé sur la santé et le bien-être du vivant, et la mise en œuvre d’actions d’atténuation et d’adaptation au dérèglement climatique, qui entraînent de facto des effets bénéfiques en cascade pour la santé et la qualité de vie, tout en réduisant les inégalités sociales et environnementales de santé, dans une logique de co-bénéfices santé-environnement.

La santé dans toutes les politiques et à tous les niveaux décisionnels 

Du fait de sa nature transversale et systémique, la santé doit être décloisonnée et s’imposer dans toutes les politiques publiques. 

Cette approche Trans sectorielle des politiques publiques implique de tenir compte systématiquement des conséquences sanitaires des décisions, rechercher des co-bénéfices santé et environnement et éviter les conséquences néfastes pour la santé afin d’améliorer la santé de la population et l’équité. Une approche à mettre en œuvre à tous les niveaux de prise de décision : au plus haut niveau décisionnel gouvernemental comme aux niveaux régional et local.

Les politiques d’aménagement du territoire, d’urbanisme, énergétiques, agricoles, des transports, entre autres, doivent ainsi prendre en compte systématiquement la santé et être pensées en synergie

Aux échelles locales et nationales, vient se superposer l’échelle mondiale. Les foyers propices à l’émergence des zoonoses n’ont pas de frontières. Les menaces sanitaires liées au dérèglement bioclimatique sont globales et nécessitent une réponse multilatérale et une coopération entre les États.

La santé, but ultime de nos sociétés humaines

Sachant qu’une approche globale de la santé mesure à la fois la santé physique, psychologique et sociale, les inégalités sociales et l’état des écosystèmes, c’est tout le modèle économique et social qui doit muter et se tourner vers la santé comme une fin en soi.

Plutôt qu’un choix entre santé et économie, l’objectif est de mettre l’économie au service de la santé et non l’inverse. Un individu ne devrait pas être contraint de choisir entre dégrader sa santé en étant exposé aux particules fines et substances chimiques nocives et avoir un travail dans l’agriculture intensive qui contribue à la pollution des sols et de l’air et nuit rétroactivement à sa santé.

L’économiste Kate Raworth propose de remplacer la courbe de croissance qui guide nos économies par deux cercles concentriques faisant penser à un “donut”[5]. Le cercle intérieur est un “plancher social” qui repose sur les droits et besoins fondamentaux tels que l’accès à l’eau, à la santé, à l’énergie ou à l’alimentation. Le cercle extérieur est un “plafond environnemental” défini par les limites planétaires à ne pas franchir. A l’intérieur des deux cercles, se trouve l’espace sûr et juste pour l’humanité, qui ne peut être assuré que par la mise en place d’une économie régénérative – qui restaure les écosystèmes – et distributive – qui régule les inégalités de richesse.

La croissance n’est plus garante d’une vie en bonne santé et d’une courbe ascendante de l’espérance de vie. C’est la capacité de nos sociétés à s’organiser en respectant à la fois les frontières environnementales et sociales qui peut aujourd’hui nous garantir la préservation et l’amélioration de la santé humaine.

Motion

Aussi, le Conseil Fédéral d’Europe Écologie-Les Verts réuni les 10 et 11 juillet 2021 décide :

  • d’adopter la définition de la santé humaine dans sa dimension la plus globale, c’est-à-dire comme “ la réalisation du plus haut niveau possible de santé, de bien-être et d’équité dans le monde entier, à travers une attention adaptée autant aux systèmes politiques, économiques et sociaux qu’aux systèmes naturels de la Terre qui définissent les limites environnementales sûres dans lesquelles l’humanité peut s’épanouir ” ;
  • que l’amélioration de la santé humaine et de la santé du vivant est l’objectif ultime de nos sociétés ; 
  • de remplacer les indicateurs macroéconomiques qui guident notre économie, notamment le Produit Intérieur Brut, par l’Espérance de vie ainsi que d’autres indicateurs de santé mesurant la santé environnementale et les inégalités environnementales et sociales de santé[6] ;
  • que la santé publique et l’économie ne doivent pas être considérés comme deux domaines séparés, sachant l’impact des modèles économiques sur la santé humaine et les écosystèmes ; 
  • que la préservation et l’amélioration de la santé humaine et de la santé du vivant nécessite une transition d’une éthique anthropocentrée vers une éthique écocentrée ; 

  • que les approches “ Une Seule Santé “[7] et de “Santé Planétaire”[8] soient intégrées dans le socle idéologique d’Europe Ecologie les Verts ;
  • que l’approche “Une Seule Santé” doit s’imposer pour prévenir les maladies d’origine environnementale, pour comprendre, anticiper et prévenir la diffusion d’agents infectieux émergents à l’origine d’épidémies voire de pandémies ;
  • qu’une politique de santé publique préventive basée sur les approches globales de santé doit intégrer entre autres la régulation de l’usage des sols, du commerce international, de l’activité industrielle, des politiques urbaines et d’aménagement du territoire, ou encore des modèles agricole et d’élevage ;

  • que les approches holistiques et préventives de santé impliquent une réorganisation des modèles de gouvernance, notamment :
  • en déployant une gouvernance transversale qui décloisonne les politiques publiques au niveau national, en instaurant des synergies entre les ministères de la santé, de l’économie, de l’agriculture, de l’écologie, entre autres. Cela pourrait passer par la création d’instances supra-ministérielles pour les sols, l’air, les océans, la biodiversité, etc., en charge d’évaluer et de contrôler l’impact des politiques publiques sur les limites planétaires
  • au niveau local, en croisant les compétences municipales, en priorité de santé, logement, urbanisme, architecture, espace public 
  • en appelant à une coopération internationale, afin de mettre en œuvre une politique adaptée à des menaces sanitaires à la nature complexe et globale, qui implique de déterminer les priorités, et une définition consensuelle minimale du bien commun 
  • en créant un fonds commun de sécurité sanitaire, sociale et environnementale au niveau mondial. Cela passera notamment par la fusion des principaux fonds mondiaux existants tels que le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme, le Fonds Global pour l’Environnement et le Fonds Vert pour le Climat ; 
  • étant donné la nature transversale d’une approche globale de la santé, de reconnaître la nécessité d’intégrer la santé dans toutes les politiques, notamment en matière :
  • d’alimentation, via la promotion d’un “régime de santé planétaire”[9] favorable à la santé du vivant, induisant la réorientation du modèle agricole vers le local, le saisonnier et le biologique, et donc la réduction les pollutions et intrants qui perturbent le cycle de l’azote, entraînent la prolifération des algues vertes, et sont susceptibles de provoquer de nombreuses pathologies ; de sortir des modes d’élevage intensif et industriel, facteurs de souffrance animale, de déforestation et de prolifération des zoonoses ; d’intégrer le régime de santé planétaire dans le Programme National nutrition Santé (PNNS) ; de généraliser une éducation au régime de santé planétaire dans les écoles, les Maisons de santé, les hôpitaux, etc.
  • d’aménagement du territoire et d’urbanisme, d’intégrer des critères de meilleure répartition de la population, de durabilité et de bénéfices pour la santé humaine et la santé du vivant (espaces verts, dont certains “libres de l’action humaine”, forêts, parcs naturels régionaux, changement d’utilisation des sols, etc.),d’opter pour une architecture bioclimatique, de repenser la délimitation administrative des territoires en fonction des interdépendances entre les écosystèmes et la santé humaine. Cet aménagement offrira de meilleures conditions de vie et de santé en diminuant l’effet d’îlot de chaleur urbain (en cas de canicule), en améliorant la qualité de l’air, en préservant la biodiversité, en offrant la possibilité d’une activité physique, et en renforçant la santé mentale par le contact avec la nature, le vivant et les interactions sociales
  • de transport, de privilégier la marchabilité, les mobilités actives et les transports en commun au sein des villes et entre territoires. Ce sont moins de pollution, de bruit et d’émissions de gaz à effet de serre, une activité physique facilitée, moins de chutes chez les seniors, etc. ; 
  • d’intégrer la variable écologique dans un modèle de santé renouvelé qui sorte d’une approche essentiellement curative pour aller vers un objectif de prévention et de maintien en bonne santé des populations ; notamment via l’extension du rôle des professionnels de santé à la promotion d’un mode de vie sain tenant compte de la santé environnementale et du dérèglement climatique, la prescription d’immersions dans des espaces naturels non pollués (parcs, forêts etc.) ; 
  • de mutualiser le risque écologique et d’étendre la protection sociale à une protection contre le travail humain quand il détériore la santé du vivant – par exemple le travail dans les industries qui altèrent le climat et donc la santé[10] ;

Unanimité pour


[1] Neuf limites planétaires identifiées en 2009 par une équipe de chercheurs menée par Johan Rockström

[2] Chiffres OMS 2019

[3] “ Le virus des inégalités”, Rapport Oxfam 2021

[4] Les 10% les plus riches de la planète sont responsables de 52% des émissions de gaz à effet de serre cumulées entre 1990 et 2015, “Combattre les inégalités des émissions de C02”, Rapport Oxfam 2020

[5] “La théorie du Donut”, Kate Raworth.

[6] Inspiré de “Et si la santé guidait le monde ?”, Eloi Laurent 

[7]  https://www.who.int/fr/news-room/q-a-detail/one-health

[8] https://www.thelancet.com/commissions/planetary-health

[9] https://eatforum.org/eat-lancet-commission/the-planetary-health-diet-and-you/

[10] Inspiré de “Et si la santé guidait le monde ?”, Eloi Laurent 



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