Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 27 et 28 mars 2021

“Adoptons une gestion de crise sanitaire globale, cohérente et juste

L’objectif de cette motion est de proposer un référentiel de principes de santé publique et démocratiques, justes et utiles tant dans la crise sanitaire actuelle que dans les futures. Il ne s’agit pas ici de se positionner sur une stratégie de gestion de crise opérationnelle. La proportionnalité des mesures sanitaires et sécuritaires nous apparaît essentielle et sera détaillée.

Exposé des motifs

Covid-19 et vulnérabilités : une syndémie

Deux catégories de maladies interagissent dans cette crise : 

  • l’infection par le coronavirus (Sars-CoV-2)
  • et un éventail de maladies non transmissibles comme l’obésité, les pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, ou encore les cancers.

A ces pathologies s’ajoute un facteur de risque non négligeable dans notre société à l’espérance de vie qui ne cesse de croître : l’âge. Par ailleurs, les maladies non transmissibles sont inégalement réparties dans la population et se distribuent selon un gradient social : leur prévalence est d’autant plus importante dans les populations les plus précarisées. Par ailleurs, l’effet des pollutions, de l’artificialisation et de la dégradation de l’environnement ne saurait être négligé dans la survenue de ces maladies. 

La COVID-19 est donc plus qu’une pandémie infectieuse. Il s’agit d’une syndémie, où les interactions entre maladie infectieuse, maladies non transmissibles et âge se potentialisent, aggravant les symptômes et le pronostic de l’infection. 

Alors que le coronavirus circule toujours, force est de constater que nous adoptons une approche beaucoup trop étroite pour gérer cette crise. En effet, nous ne pouvons considérer que sa seule cause est une maladie infectieuse. Or la majorité de nos interventions sont concentrées sur la réduction des transmissions virales, sans prendre la mesure de l’importance de la prévention des comorbidités.

La prévention et la santé environnementale doivent être prioritaires dans les politiques de santé publiques afin de lutter contre la pandémie de maladies non transmissibles (obésité, pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, cancers) qui fait le lit des formes graves voire mortelles de la Covid-19.

L’infection par le coronavirus ne peut constituer l’unique critère de l’état de santé de la population 

La nature multidimensionnelle de la menace à laquelle nous sommes confronté·e·s signifie qu’une approche de santé publique plus nuancée et juste est nécessaire si nous voulons protéger la santé de nos concitoyen·ne·s dans toutes ses composantes. En effet, pour l’OMS, la santé est un “état de complet bien-être physique, mental, social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. C’est pourquoi il importe de remettre au cœur de la stratégie de gestion de la crise sanitaire cette approche globale de la santé, laquelle ne peut se résumer à la seule absence ou présence de Covid-19.

Un changement de paradigme doit s’opérer : l’heure est à la transition d’une approche médicale covido-centrée – assortie de décisions et de mesures incohérentes et tardives – vers une vision de santé publique qui prend la mesure des dommages collatéraux de la gestion de crise, de la syndémie et de ses causes. 

La Covid-19 est une maladie liée à la crise écologique

Les causes de cette pandémie  prennent leurs racines dans la prédation de l’environnement et dans nos modes de vie peu respectueux du vivant. En cela, cette crise sanitaire constitue une illustration concrète du principe d’”Une seule santé” (One Health) porté par l’OMS, lequel considère que la santé humaine est interconnectée à la santé animale et des écosystèmes. De nombreux professionnels aux compétences multiples, actifs dans différents secteurs tels que la santé publique, la santé animale, la santé végétale et l’environnement, doivent unir leurs forces à l’appui de cette approche. Par ailleurs, il est hautement probable que les pandémies virales nées de la transmission d’agents pathogènes de l’animal à l’humain augmentent en fréquence, voire en gravité.  

Les dommages collatéraux de la gestion de crise

Avec la crise, les inégalités se creusent et de nouvelles se créent. En effet, d’après un rapport de la Banque Mondiale, entre 88 et 115 millions de personnes ont basculé dans l’extrême pauvreté à travers le monde depuis l’apparition de la pandémie et suite à sa gestion. En France, c’est plus d’un million de personnes supplémentaires qui ont sombré dans la pauvreté. Or la précarité et le chômage ont un impact majeur et négatif sur la santé et le bien-être.

Par ailleurs, les services hospitaliers se trouvent obligés de sélectionner certains patient·e·s aux urgences et l’AP-HP déprogramme 20 % d’opérations chirurgicales jugées “non essentielles ». C’est aujourd’hui plus de 93 000 personnes qui attendent d’être prises en charge pour le diagnostic et le traitement de leur cancer, sachant qu’un retard à la prise en charge constitue le plus souvent une perte de chance pour les patient·e·s.

Aux inégalités économiques et aux pressions exercées sur le système de santé se conjuguent les conséquences mentales indéniables des mesures restrictives des libertés et de la gestion de crise en général. La multiplication des violences domestiques est à relever, avec notamment une hausse de 40 et 60 % du nombre de signalements de violences conjugales, respectivement lors des premier et deuxième confinements ; et pour les malades qui l’étaient avant la pandémie : une intensification des troubles et un recours moins important au système de soins. 

La crise économique qui s’annonce et résulte de la gestion de crise va avoir un impact sanitaire majeur sur la population, notamment pour les plus fragiles économiquement et les jeunes qui entrent sur le marché du travail. L’accès à l’emploi constitue un déterminant essentiel à la santé et au bien-être. Or de nombreux secteurs sont sinistrés, alors qu’ils participent du bien-être social et économique des citoyen·ne·s : secteurs culturels, restauration, lieux de sports, tourisme, événementiel…

Les personnes âgées en EHPAD ou isolées : une dégradation de la santé aux causes multiples

Pour les personnes âgées, la difficulté d’accès aux soins et la limitation des visites a pu engendrer une entrée plus rapide, voire prématurée, dans le déclin cognitif et la perte d’autonomie. Celle-ci est souvent définitive alors qu’elle aurait pu parfois être évitée. Il faut ajouter que nombre de personnels en première ligne de la lutte contre la COVID-19 ont été laissés exposés par un manque d’équipements de protection individuelle, de kits de test, de formation et de protocoles de sécurité. Leur exposition au virus a vraisemblablement renforcé les contaminations des résident.e.s et a laissé de nombreuses structures de personnes âgées en sous-effectif critique. Lequel a rendu très difficile la réponse aux besoins de base et le respect des droits des résidents, ce qui n’a fait qu’augmenter le risque de décès. Les mesures de verrouillage ont contribué à aggraver l’isolement dans lequel la violence a lieu et ont rendu encore plus difficile pour les personnes âgées la recherche de soutien. 

La jeunesse, grande oubliée de la gestion de crise

Si les enfants sont moins touchés que le reste de la population par la Covid19 et ses formes graves, la crise sanitaire et sa gestion ont eu un fort retentissement sur eux. Leur développement, leur qualité de vie et leur santé physique et mentale sont impactés, notamment du fait de soins curatifs et préventifs différés. Ils ont également été davantage exposés à la sédentarité, aux écrans, aux accidents domestiques et aux violences intrafamiliales. 

La fermeture initiale des établissements scolaires et des lieux de loisirs a renforcé ces difficultés, lesquelles sont marquées par d’importantes inégalités sociales et territoriales. Les enfants payant le plus lourd tribut de la stratégie mise en place sont les enfants présentant le plus de vulnérabilités : enfants vivant dans des familles précaires, violentes, négligentes, ou mal logé·e·s, enfants en situation de handicap ou maladie, ou encore les enfants pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. 

Ces dommages collatéraux touchent également de plein fouet la génération des étudiant·e·s : cours à distance dans des logements souvent trop exigus, disparition des emplois étudiants, ou encore augmentation des difficultés d’accès à la santé notamment mentale et sexuelle antérieures à la crise. 

La détresse sociale des étudiant·e·s, c’est aussi un secteur de l’enseignement supérieur lourdement malmené par les mesures restrictives de liberté.

Une nécessaire stratégie globale et de long terme 

Si les vaccins contre le coronavirus sont en cours de déploiement dans de nombreux pays, cela ne signifie pas pour autant que la crise est sur le point d’être résolue. Même avec une coopération internationale, la levée des brevets et un financement adéquat, la couverture vaccinale au niveau mondial prendra beaucoup de temps à se réaliser. Or aucun pays ne pourra être en sécurité tant que tous les autres ne le sont pas. Nous ne savons pas non plus si et quand une nouvelle campagne de vaccination Covid-19 sera nécessaire car la durée de la protection immunologique et l’efficacité contre les variants émergents du SARS-CoV-2 restent à définir. De plus, si des variants du SARS-CoV-2 ou de nouveaux agents pathogènes émergent à plusieurs reprises, il est probable que seuls les pays à revenu élevé puissent réagir rapidement en fabriquant des vaccins adaptés, avec cependant un coût non négligeable pour les systèmes de santé. Il est également possible que le SARS-CoV-2 réapparaisse régulièrement, voire chaque hiver comme de nombreux virus respiratoires à l’image de la grippe ou du Virus Respiratoire Syncytial. 

Face à de telles incertitudes, nous avons besoin d’une stratégie présentant une balance bénéfice-risque favorable à court comme à long terme car il n’y a pas de sortie rapide de la crise sanitaire. 

L’universalisme proportionné : un socle de la gestion de crise

Il conviendrait que les mesures mises en place se fondent sur le principe d’universalisme proportionné, qui constitue le pilier fondamental pour toutes actions de prévention et promotion de la santé et qui repose sur l’adhésion volontaire aux mesures proposées. L’universalisme proportionné permet de mettre en place des actions à la fois universelles – donc qui s’appliquent à tou·te·s – et ciblées, avec des mesures de protection adaptées aux vulnérabilités, aux professions, aux lieux et aux spécificités locales. Les mesures actuelles, hors vaccination, illustrent un universalisme non proportionné, qui ne tient pas compte des risques de chacun.e ni des spécificités des territoires et des lieux de vie. Des mesures universelles (certains gestes barrières, télétravail…) et des mesures proportionnées au risque (vaccination des personnes cibles du virus et des professionnel.le.s à leur contact, adaptation de poste en cas de facteurs de risque, aide à domicile pour celles et ceux qui souhaiteraient limiter leur sortie…) doivent être réfléchies et proposées à la population. Les acteur·rice·s de la lutte contre le VIH pourraient être associé.e.s et partager leur expérience en la matière.

Articuler la sécurité sanitaire de l’ensemble d’une population avec les libertés de chacun  et les fondements de la démocratie

État de droit d’exception, l’état d’urgence sanitaire est déclaré “en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.” Appliqué du 24 mars au 10 juillet 2020, puis à compter du 17 octobre 2020, il suspend le droit commun en permettant au pouvoir exécutif de limiter les libertés de circulation ou de réunion. 

Le parallèle avec l’état d’urgence appliqué en matière d’actes de terrorisme est évident et la nécessité commune d’agir avec anticipation et rapidité – la base de la gestion de crise – est présente. Pour autant, l’état d’urgence quel qu’il soit doit être par principe proportionné en temps et dans le degré des restrictions aux libertés fondamentales. Dans le cas contraire, il sort à la fois du cadre républicain et perd en efficacité dans la lutte contre la menace qui est son objectif. 

Or, d’une part l’état d’urgence terroriste est devenu état d’urgence permanent au gré des textes qui l’ont fait passer dans le droit commun. D’autre part, s’il y a déjà eu des restrictions importantes de libertés pendant les guerres ou sous l’état d’urgence, ou pour lutter contre le choléra ou la grippe espagnole, jamais une telle ampleur de restrictions pour des motifs sanitaires n’a eu lieu par le passé.

Les indicateurs liés au coronavirus stricto sensu ne sauraient donc constituer la seule condition pour justifier de la mise en place de mesures coercitives.

Motion

Aussi, le conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Vert·e·s réuni les 27 et 28 mars 2021 décide de :

  • Prendre en compte les conséquences “non-Covid” (économiques, sociales, pédagogiques, en termes d’inégalités, de violences, de libertés fondamentales et de démocratie) afin que la balance bénéfice-risque des stratégies proposées soit favorable à la santé et au bien-être de la société dans son ensemble ;
  • Mettre en place des politiques publiques pour  lutter contre la maltraitance des personnes âgées et apporter un soutien spécifique aux victimes, aux survivant.es et aux professionnel.le.s à leur côté ;
  • Adopter des niveaux de protection ciblés selon les personnes, les lieux et les spécificités locales. L’intensité des mesures proposées doit être proportionnelle et adaptée au risque de chacun.e, selon les territoires : il s’agit du principed’universalisme proportionné qui doit éclairer toute décision de santé publique ;
  • Recueillir le consentement des personnes aux mesures. Car la santé ne s’impose pas, elle se promeut. L’éducation et l’information doivent accompagner le consentement afin de permettre aux populations d’adopter un comportement responsable et citoyen. Dans un second temps, en cas de besoins et après débats démocratiques, des obligations pourraient être mises en œuvre ;
  • Adopter une gouvernance démocratique et transdisciplinaire dans la gestion de crise via une consultation des différentes parties prenantes : scientifiques de plusieurs disciplines, partie civile, élus, assistant.e.s. social.e.s, éducatrices et éducateurs, élu.e.s locaux, institutions (comme le Haut Conseil de la Santé Publique ou le Comité Consultatif National d’Éthique) et dispositifs de santé publique existants (Plan Pandémie par exemple) ;
  • Proposer une politique de santé publique pour la santé mentale de l’ensemble de la population et particulièrement de la jeunesse et des enfants au travers de dispositifs d’aide et d’accompagnement. Un suivi renforcé doit être proposé aux enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance qui cumulent souvent les vulnérabilités et les difficultés, et aux personnes victimes de violence, notamment intrafamiliales ;
  • Renforcer la recherche en menant des études de terrain afin d’évaluer la pertinence ou non de mesures sanitaires et des pratiques déjà adoptées ;
  • Renforcer la sécurité sanitaire à l’échelle internationale via une refonte du rôle de l’OMS et du règlement sanitaire international ;
  • Mettre en œuvre une communication en temps de crise plus rationnelle et pragmatique. La communication à la population devrait se baser sur des éléments factuels et non s’appuyer sur une lecture émotionnelle, culpabilisante ou infantilisante des données épidémiologiques, que ces dernières soient avérées et disponibles ou prédictives (modélisations). Une  attention particulière doit être portée à la communication aux enfants, en s’inspirant par exemple des conférences de presse adressées aux enfants qui ont eu lieu en Nouvelle-Zélande ;
  • D’anticiper de prochaines crises sanitaires (canicule, événement météorologique extrême, attentat, épidémie…), via l’embauche et la formation de personnel hospitalier, une revalorisation des salaires du personnel soignant ainsi que l’arrêt des suppressions de lit ou de fermetures d’hôpitaux afin de faire face à l’afflux attendu de patient·e·s, sans mettre en péril l’activité hospitalière dans son ensemble ;
  • Soutenir une industrie médicale (masques FFP2, vaccins, etc.)  française et européenne, notamment par des contrats publics engageant à long-terme ;
  • À court terme, poursuivre les efforts de sécurisation des contrats vaccinaux pour tous les États-membres de l’Union européenne pour pouvoir, à terme, sortir les vaccins de l’économie de marché en imposant aux laboratoires une approbation à l’échelle mondiale des prix. Cet encadrement permettrait de limiter les accords bilatéraux qui les font grimper ; 
  • Renforcer la coordination mondiale et les mécanismes de financement solidaire pour l’accès aux vaccins pour les pays à revenu faible ou intermédiaire : la dérogation aux accords sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) et la reconnaissance des vaccins comme des biens publics mondiaux sont nécessaire pour garantir l’effectivité du droit à la santé  ;
  • Proportionner à la gravité de la situation, en durée, en force et avec un objectif légitime,les mesures d’urgence instaurées par les autorités nationales, européennes ou internationales qui restreignent les droits des personnes. Les crises sanitaires, comme pour le terrorisme, ne doivent pas déroger à ce principe fondamental et aliéner des libertés à long terme ;  
  • Reconnaître l’urgence d’une politique de santé publique « One Health » (“Une seule santé”) et de santé planétaire, en légiférant et en investissant massivement dans le respect des limites planétaires (lutte contre la déforestation, l’érosion de la biodiversité, la pollution, l’élevage intensif…).

Pour : 82 ; contre : 6 ; Blancs : 10 ; nppv : 2



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